L’hôpital d’instruction du Val-de-Grâce

Ordre du jour n°10723 du général d’armée Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées.

Le 31 juillet 1793, la Convention nationale décide de mettre le Val-de-Grâce à la disposition du ministre de la Guerre pour y installer un hôpital militaire. La double vocation du Val-de-Grâce, hospitalière et militaire, est née.
À partir de cette date, les médecins militaires les plus illustres vont s’y succéder et forger, par l’alliance fertile de la compétence et du dévouement, une réputation d’excellence dont le Val-de-Grâce ne se départira plus.
« C’est cet héritage qui structure, aujourd’hui le Service de santé des armées ».
Dans ce cadre magnifique, niché au coeur de la capitale, Percy, Desgenettes, Larrey, Bégin et bien d’autres éminents médecins, pharmaciens, épidémiologistes et praticiens militaires de toutes spécialités ont, tour à tour, laissé leur empreinte et oeuvré, à force de travail et de recherches, à la constitution d’un héritage exceptionnel dont vous êtes les dépositaires. C’est cet héritage qui structure, aujourd’hui, le Service de santé des armées. Il fait votre fierté. Il est votre âme. Au plus profond de cette âme, résonne une histoire marquée par le sceau du drame et de la gloire, mêlés.
Souvenons-nous, également, qu’il y a cent ans, derrière ces murs, des médecins militaires, des infirmières et du personnel soignant accompagnaient, avec sollicitude et professionnalisme, ceux que l’on a appelés les « gueules cassées ». Ils ont accompli des prouesses dans le lent travail de reconstruction physique et psychologique de ces hommes défigurés et meurtris. Comment ne pas faire le parallèle avec les attentions et les compétences exceptionnelles mises au service de nos blessés, aujourd’hui, par les hommes et les femmes de nos équipes de santé ?
L’histoire du « Val » fait aussi la part belle à la gloire. De très nombreux prix, parmi les plus prestigieux, sont venus distinguer les multiples travaux d’éminents médecins-chercheurs. Ce chemin, celui de l’excellence et de l’exigence, est celui-là même que vous avez emprunté, derrière vos anciens. Il réclame beaucoup d’investissement et de désintéressement. Il demande parfois des sacrifices.
La fermeture de l’hôpital du Val-de-Grâce en est un ; particulièrement douloureux. Il est nécessairement déchirant de devoir se résoudre à laisser une structure hospitalière, chargée d’histoire, à laquelle nos armées, mais également les Parisiens et le pays tout entier sont si attachés.
Et pourtant, cette décision ne porte pas la marque du renoncement, mais bien celles de la vision et du courage. Un courage mis au service de la nécessaire réorganisation du modèle hospitalier militaire pour l’adapter aux évolutions rapides des mondes de la défense et de la santé. Le nouveau modèle, décidé par le ministre de la Défense et porté par le directeur central du Service de santé des armées, est prioritairement concentré sur sa mission de soutien des forces.
Bénéficiant du redéploiement des compétences développées au sein de l’hôpital du Val-de-Grâce, la nouvelle plate-forme hospitalière de la région Ile-de- France, articulée autour des hôpitaux Percy et Bégin, est, désormais, en capacité d’assumer la prise en charge optimisée des blessés et des malades rapatriés sur le territoire national ; elle joue également un rôle déterminant lors du déclenchement des plans gouvernementaux.
Aujourd’hui, la France est un des seuls pays au monde à disposer d’une chaîne de santé militaire, complète et autonome, qui relie le brancardier-secouriste, déployé aux avant-postes, aux meilleurs spécialistes opérant dans les structures ultra-modernes de nos hôpitaux militaires.
Ici, au Val-de-Grâce, l’excellence du Service de santé des armées continuera de se jouer. La pérennisation des activités de formation de la prestigieuse École, ici, entre ces murs, est le signe fort de la volonté du Service de santé des armées de s’arrimer au site qui l’a vu naître et à partir duquel son esprit a rayonné.
Car l’esprit qui vous anime force l’admiration. Il se trouve concentré dans l’affirmation d’Ambroise Paré : « Le gain étant éloigné, seuls demeurent l’honneur et l’amitié de tant de soldats ». Faites vivre cet esprit. Il est le ferment irremplaçable des plus belles vocations médicales militaires et la plus noble manière de soigner l’humanité souffrante. Il a éclairé et éclairera encore, d’une lumière resplendissante, ce à quoi nous oeuvrons tous : le succès des armes de la France ! »

Cérémonie de fermeture de l’HIA du Val-de-Grâce « Le vent se lève, il faut tenter de vivre » (Paul Valéry, Le cimetière marin)

Le 30 juin 2016 restera dans l’histoire du Service de santé des armées (SSA) le jour de la fermeture officielle et définitive de l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, quand nous célébrons le 250e anniversaire de la naissance de Dominique Larrey, père de la chirurgie de guerre moderne, dont le fils Hippolyte, médecinchef de l’hôpital de 1851 à 1858, s’inscrivit dans la longue lignée inaugurée par Gilbert puis Desgenettes. C’est aussi le centenaire des batailles de Verdun et de la Somme (1916), puis du Chemin des dames (1917), où l’action du SSA, tous grades et fonctions confondus – praticiens, infirmiers et brancardiers, officiers, sous-officiers et soldats – ne cessa d’être héroïque comme tout au long de la Grande Guerre. Personne n’oublie que l’hôpital du Val-de-Grâce, où furent mises au point la vaccination anti-typhoïdique si efficace dans les tranchées ou la chirurgie des Gueules Cassées, là où la psychiatrie de guerre prit ses lettres de noblesse, fut au premier rang du combat médical, ajoutant à son histoire le luxe d’une originalité littéraire, quand, en pleine guerre, se rencontraient deux soignants mobilisés au Val-de-Grâce, Louis Aragon et André Breton fondant le mouvement surréaliste : le XXe siècle, en effet surréaliste à plus d’un titre, était en marche. L’illustre maison ferme donc ses portes après 223 ans de bons et loyaux services, un évènement aussi inattendu que spectaculaire. La presse avait relayé l’annonce de cette fermeture à l’automne 2014 et le docteur Patrice Pelloux, qu’on n’attendait pas sur ce registre, avait rédigé un remarquable et émouvant éloge de l’hôpital et de ses personnels dans Charlie Hebdo, hebdomadaire qu’on n’attendait pas non plus ici, en juin 2015, lors du transfert des derniers malades de réanimation vers d’autres structures ; il convient de saluer ce témoignage, sincère, plein de chaleur et de respect pour les équipes de l’hôpital.
La cérémonie de fermeture s’est donc tenue le jeudi 30 juin dernier sur le parvis de l’hôpital, au pied du mât des couleurs, là où la tradition avait un temps institué les passations de commandement entre médecins-chefs se succédant, en présence des drapeaux des écoles du SSA et des fanions des huit autres hôpitaux d’instruction, des centres médicaux des armées et des établissements de ravitaillement. Elle était indispensable – qu’aurait-on pensé si elle n’avait pas eu lieu ? – afin que chacun de ceux qui se reconnaissent depuis plus de deux siècles dans cette maison mère de la médecine aux armées puisse faire son deuil : les personnels avaient besoin de ce moment, tout comme les anciens malades dont certains s’étaient déplacés, se disant parfois dépassés par l’évènement.
Elle était présidée par le général d’armée Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, qui prononça l’ordre du jour mettant fin à l’existence de l’hôpital, en présence du directeur central du SSA, le MGA Jean-Marc Debonne, des plus hautes autorités du Service et du dernier médecin-chef de l’hôpital, le MGI Claude Conessa. Étaient ainsi rendues à la République les clés de l’établissement, 223 ans après qu’elle les lui avait confiées.
L’ambiance était au recueillement, à la dignité, souvent à la tristesse, parfois à l’amertume, jamais à l’abandon. Les personnels présents en juin 2015, lorsque l’essentiel de l’hôpital disparaissait ne laissant que de rares activités pour une année encore, avaient été conviés. Cinq cents personnes s’étaient déplacées : militaires ou civils, paramédicaux et administratifs, des praticiens d’alors, qu’ils aient rejoint les hôpitaux Bégin ou Percy, la réserve, la deuxième section ou le secteur civil et des anciens du SSA. Les personnels étaient accompagnés de camarades d’autres hôpitaux ou organismes du SSA dont le MGI Dominique Felten, directeur de l’IRBA*2 et avant-dernier médecin chef et de deux autres anciens médecins-chefs (les MGI (2eS) Pierre Cristau et François Eulry) appartenant au bureau de l’association des amis du musée du SSA ou à son comité d’histoire, organismes auxquels le directeur central avait demandé de faire mémoire du passé lors des communications de l’après-midi ; leurs présidents respectifs, les MGI (2eS) Olivier Farret et Raymond Wey, étaient présents.
La cérémonie militaire fut suivie d’un cocktail sur les pelouses du jardin et d’une allocution du directeur central, en présence du chef d’état-major des armées, qui rendit hommage aux personnels de l’hôpital et à son histoire, rappelant que la décision d’octobre 2014, d’ordre budgétaire, s’inscrivait dans la réforme « SSA 2020 ». Il replaça la décision de fermeture de l’HIA du Val-de-Grâce dans la triste litanie des suppressions précédentes de nombreux hôpitaux et établissements du service, dont les Écoles du service de santé des armées – essentiellement celle de Bordeaux, à juste titre douloureusement vécue par ses anciens ou derniers élèves – regroupées depuis le 1er juillet 2011 à Bron dans l’unique École de santé des armées, ou encore le transfert de l’École du Pharo (IMTSSA3), disparaissant de Marseille, à l’IRBA de Brétignysur- Orge, où elle rejoignit le CRSSA de Grenoble, l’Institut de médecine navale de Toulon et celui de médecine aéronautique et spatiale, constituant un centre de recherche exceptionnel au profit des forces ; l’HIA du Val-de-Grâce disparu, ses personnels ou ses services maintenus ont mission de s’intégrer aux HIA Percy et Bégin, après que des services de spécialités définis comme non nécessaires aux forces et aux OPEX, leur ont fait place ou que d’autres se déploient différemment.
Lors de ce cocktail, les discussions impromptues révélèrent la grande solidarité des personnels devant ce deuil, une camaraderie ou une fraternité sans ambages et parfois de l’incompréhension. Elles ne négligèrent pas les conséquences humaines – malades et personnels confondus – de cette fermeture réalisée pour l’essentiel dans le temps record de huit mois à peine, tandis que les personnels et les matériels de l’opération Sentinelle occupaient en masse les jardins et locaux de l’hôpital transformé en caserne pour assurer un autre type de « prévention », dictée par les évènements.
La séance académique de l’après-midi se tint à l’amphithéâtre Rouvillois de l’École du Val-de- Grâce en présence du directeur central et des hautes autorités du Service. Elle était présidée par le MGI (2eS) Raymond Wey et le MCSHC Jean-Éric Pontiès, dernier médecin-chef adjoint de l’hôpital et maître d’oeuvre de la journée, organisée par l’association des amis du musée du SSA. L’assistance écouta les communications du MC (ER) Jean-Jacques Ferrandis sur l’histoire de l’hôpital, du MGI (2eS) Pierre Cristau sur l’histoire des travaux du nouvel hôpital, du MGI (2eS) Guy Briole sur la grande histoire de la psychiatrie au Val-de-Grâce, du MGI (2eS) Raymond Wey sur l’histoire méconnue de l’hôpital lors des guerres et sous l’Occupation : à ce propos, la présence chaleureuse d’une délégation allemande, en particulier de l’hôpital militaire de Coblence jumelé avec l’HIA du Val-de-Grâce, témoignait de l’amitié de nos camarades du Service de santé de la Bundeswehr, entretenue par les médecins-chefs successifs des deux côtés du Rhin. Enfin le MGI (2eS) François Eulry souligna l’exemplarité des personnels militaires et civils de l’hôpital, en particulier lors de situations bien particulières, délicates ou difficiles, qu’il avait vécues 3 IMTSSA : Institut de médecine tropicale du Service de santé des armées avec eux, leur rendant lui ainsi l’hommage qu’ils méritaient, saluant les blessés et malades traités au Val-de-Grâce depuis plus de deux siècles et s’inclinant devant les morts.
La séance se termina par l’intervention remarquable du MGI François Pons, directeur de l’École du Val-de- Grâce, désormais seule détentrice du nom, du souvenir et du passé de l’hôpital. L’École, depuis les réformes mises en place par le MGI (2eS) Guy Briole puis ses successeurs, bénéficie d’une extension sans précédent de son domaine d’activité, dont témoigne, actée dans les textes, l’attribution à son directeur, de plein droit et plus seulement de fait, d’un siège à la conférence nationale des doyens de facultés de médecine.
Voici donc ce joyau, célèbre dans le monde entier, disparu après une course en tête de plus de deux siècles, long marathon où il s’est écroulé dans un dernier souffle que rien n’annonçait, longtemps après que la Convention avait donné le signal de départ sans jamais indiquer la ligne d’arrivée qui se confondait avec l’horizon, sans cesse repoussé par la marche en avant de l’hôpital. Mauvaise préparation au XXIe siècle et absence de modernisation disent certains, quand cette maison accumula les succès pour se maintenir à la pointe des avancées médico-chirurgicales ou médico-techniques et à celle d’une gestion administrative et financière rigoureuse et moderne, couronnée de la tarification à l’activité (T2A) comme tous les hôpitaux d’instruction des armées.
Même si restaient des difficultés majeures, comme améliorer ou refaire le très délicat circuit des fluides médicaux et la stérilisation, beaucoup avait été entrepris et/ou réalisé (désenfumage, réfection de la climatisation, création d’une unité d’accueil et de garde médico-chirurgicale, réfection du service de médecine nucléaire ou des circulations des blocs opératoires, etc.). L’ensemble de ces travaux fut engagé quand on épongeait l’ardoise du nouveau Percy ou que l’oukase de la sécurité imposait la refonte de l’HIA Bégin, alors menacé de fermeture à très court terme, désormais transformé bien au-delà de cette seule nécessité, avec un résultat et un coût spectaculaires.
Ce sont des difficultés que connaît l’hôpital public en général : il suffit de regarder quelques établissements, parmi les plus récents ou les plus anciens dont certains, illustres et vénérables, sont tenus debout, titubant sur leurs fondations au coeur de la ville et des remous ; le vieil Hôtel-Dieu lyonnais cher à de nombreux médecins des armées, lui, garde sa vocation « hôtelière », si l’on peut dire, en devenant un magnifique hôtel touristique bourré d’étoiles, alors que ce vieux vaisseau amiral entre Rhône et Saône vit le grand Rabelais guérir le cardinal du Bellay – cousin du poète et en route pour Rome – d’une sciatique par des manipulations rachidiennes…
Concernant l’avenir, personne n’imagine que feu le Val-de-Grâce soit l’enjeu de projets indécents en conflit avec son âme bi séculaire, laquelle veut lui conserver sa vocation au service du malade et du blessé, civil ou militaire, français ou étranger, pour rester fidèle à la devise de l’École de santé des armées : « Sur mer et au-delà des mers, pour la Patrie et l’humanité, toujours au service des Hommes », fusionnant avec bonheur les devises des vieilles écoles de Bordeaux et de Lyon.
« Fui, non sum, non curo » faisaient écrire sur leur stèle funéraire des praticiens romains à la philosophie, « j’étais, je ne suis plus, je m’en moque » : voici ce que dit désormais feu l’HIA du Val-de-Grâce qui « s’en moque » en effet car il sait que, s’il continue à vivre dans le souvenir des malades et des personnels – il y vivra le temps que ceux-ci vivront – l’École qui porte son nom en gardera la flamme et la tradition. La vie continue, si ce n’est moins belle, du moins différente et toujours active. Saluons l’École après un dernier regard à l’hôpital : ce jour de deuil est porteur d’avenir.

MGI (2eS) F. Eulry