Le médecin général Joseph AVEROUS
Son témoignage sur la période 1888 – 1904 et aperçu des étapes ultérieures
Cette présentation constitue un témoignage de
Joseph Averous au travers de ses Mémoires, retrouvés
récemment par le Dr
Monique Averous, sa petite fille
et décryptés par le Pr. Olivier Dupuis-Averous, son
arrière-petit-fils.
Ils débutent au moment où Joseph Averous entame
ses études de médecine et se terminent quand il est un
chirurgien confirmé et reconnu.
La suite de sa carrière reconstituée grâce au Pr
Bernard Brisou, comporte des témoignages de Joseph
Averous lui-même mais aussi de ses contemporains.
Ils sont peu nombreux mais d’autant plus intéressants
qu’ils montrent son comportement en particulier dans
la guerre
; les mémoires, c’est un regard d’homme sur
lui-même et les événements qu’il a vécus, avec une
vision inévitablement personnelle et fragmentaire.
Mais de tels témoignages en se recoupant donnent
l’ambiance d’une époque. Cependant, un témoignage
ne vaut que ce que vaut l’homme qui l’apporte.
L’Homme
Joseph Averous est né à Brest le 25 décembre 1870
dans une famille modeste de 5 enfants. Son père était
coiffeur. Comme tant d’autres en Bretagne, sa famille
a été décimée par la tuberculose qui emporta les deux
sœurs aînées dans leur première année et les deux
frères cadets dans leur 25e et 31e
année.
L’enfance de Joseph Averous se déroule dans
l’ambiance d’un grand port de guerre où vont et
viennent de majestueux vaisseaux à voiles.
Le jeune Joseph se passionne très vite pour la mer et
les bateaux. Le port est très actif et la population vit
au rythme des navires dans un climat de patriotisme.
Ainsi, lors de l’embarquement de marsouins en
partance pour la Nouvelle-Calédonie, nul dans la ville
n’ignorait l’heure du départ : « nous lâchions, nous dit
Averous, livres et cahiers pour voler à l’embarcadère.
La fanfare d’infanterie de marine descendait la grande
rue, et quand la Marseillaise éclate, mouchoirs et képis
s’agitent devant quelques vieux parents aux yeux
humides».
Les retours de navires le retiennent peut-être plus
encore, avec le parfum d’exotisme que rapportaient
ces matelots et soldats brunis par le soleil et le hâle
de la mer et qui exhibaient devant les enfants cannes
de jonc, boîtes de Chine, plateaux laqués et parfois
un petit singe malicieux ou un splendide kakatoès. En
rentrant chez lui son imagination amplifie encore les
récits qu’il venait d’entendre.
Joseph Averous avait une autre passion, celle des
sciences naturelles et le dimanche il allait souvent
visiter le jardin botanique de l’hôpital maritime et
admirer les riches collections de son musée fruit de
voyages lointains. De la conjonction de ses deux
passions, mer et sciences naturelles, naquit sa
vocation pour la médecine navale. Joseph Averous est
admis à l’École de médecine navale de Brest en 1888.
Les Études de médecine
Les études s’échelonnent sur 4 ans. Elles devaient se
faire à Brest avec examens terminaux et thèse à la
faculté de Bordeaux. L’ouverture de l’École principale
du Service de santé de la marine en 1890 modifia
le cursus du jeune Joseph qui intégra la troisième
année de médecine à Bordeaux avec la première
promotion de santé navale, ce qui lui permet de vivre
la révolution pastorienne.
À Brest
L’enseignement théorique et pratique, dès la première
année, était donné par des professeurs, médecins
principaux nommés au concours qui souvent avaient
par ailleurs une activité médicale civile. Ils étaient
aidés par des médecins de 1re
classe dont la fonction
correspondait à celle d’assistant chef de clinique, et
aussi par des prévôts d’anatomie
: les prosecteurs.
Tous les étudiants suivaient la visite du matin dans les
grandes salles communes où les parquets, entretenus
avec un soin jaloux par les religieuses, brillaient
comme des miroirs contrastant avec des mesures
d’hygiène peu orthodoxes.
En dehors des maladies éruptives et vénériennes,
toutes les autres pathologies étaient réunies.
Ainsi voisinaient des blessés et des «suppurants»
chroniques, des accidentés et les malades atteints de
tuberculose ouverte qui expectoraient dans un drap
replié, le drap crachoir. Chaque matin, à la visite,
l’infirmier-major en écartait les plis et le médecin
apprenait à reconnaître la nature des crachats à
la couleur et à leur consistance. Des récipients
rectangulaires remplis de petits cailloux et de sciure de
bois servaient de crachoirs collectifs dans la journée.
Tous les matins on les vidait dans la cour où se
promenaient les malades.
Le pronostic des blessés et des amputés s’était
amélioré mais au prix de longues suppurations. Les
mesures d’asepsie restent encore approximatives si
bien que les plaies s’infectent souvent. Par contre, dès
que la plaie est infectée on la traite maintenant par les
antiseptiques, comme le préconise Lister depuis 1875,
en s’appuyant sur les découvertes de Pasteur. Ainsi les
blessés guérissent habituellement mais en suppurant.
Par ailleurs, est intervenu le drainage des plaies,
considéré comme l’une des plus belles découvertes
de la chirurgie. Quand il y avait un drain, on le retirait
tous les jours, on le lavait, on débouchait ses yeux. Si
quelques clapiers purulents persistaient au niveau de
la plaie on les pourchassait au trocart de Chassaignac
mais on n’avait pas fait totalement table rase du passé.
Les cataplasmes à la graine de lin, à la farine de lin
pour les officiers, jouissaient encore d’une certaine
faveur. Ils pouvaient embrasser un membre entier.
«
J’ai ainsi confectionné un tel cataplasme allant des
lombes aux pieds. De multiples drains plongeaient
dans toutes les directions, laissant couler à flot un pus
crémeux, à l’odeur écœurante, dans lequel mijotait le
membre tout entier
».
Le thermocautère était d’emploi courant pour
traiter les moignons d’amputation. On apportait au
lit du blessé un fourneau à cautères, en tout point
semblable à celui des plombiers. On attisait le feu
au soufflet et quand la pointe avait atteint la chaleur
voulue on l’enfonçait lentement dans les fongosités.
L’opération, faite sans anesthésie provoquait chez le
patient de véritables rugissements et les assistants
devaient prêter main-forte pour l’immobiliser. La sœur,
heureusement, lui faisait vite oublier cette épreuve en
lui offrant un grand verre de vin du Cap.
Seules les grosses interventions se faisaient en salle
d’opération. Elle bénéficiait d’un éclairage naturel
auquel s’ajoutait une lampe centrale à gaz complétée
en cas d’insuffisance par 15 bougies fixées sur un
plateau analogue à ceux sur lesquels on brûle des
cierges dans les églises.
Le seul anesthésique utilisé était le chloroforme,
administré au cornet dans des conditions peu
satisfaisantes. Au lieu du sommeil calme obtenu
par les appareils ultérieurs, c’était dès les premières
inhalations une agitation impressionnante avec
un malade aux yeux hagards, la face vultueuse et
cyanosée essayant de cracher son cornet. Les
assistants se précipitaient sur lui et si dans cette lutte
le malade avalait sa langue on introduisait entre ses
dents un cornet de bois pour lui ouvrir la bouche
et saisir sa langue avec une pince
; on la maintenait
au moyen d’un fil passé au travers avec une aiguille
courbe.
Les interventions sur l’abdomen étaient quasiment
interdites, en raison de l’infection pratiquement
certaine. Il fallait avoir la main forcée en présence
d’une occlusion pour tenter d’opérer un ventre, encore
attendait-on les vomissements fécaloïdes. «
J’ai assisté
à une intervention dans ses conditions. En sortant de
la salle, l’opéré expira
».
À Bordeaux
Deux années se sont écoulées depuis l’entrée de
Joseph Averous à l’École de médecine de Brest.
On sentait dans l’air que la fin des trois Écoles de
médecine navale de Brest, de Rochefort et de Toulon
était proche. Barbey, Ministre de la Marine décrète le
10 avril 1890 de les regrouper dans une école unique
:
l’École Principale du Service de santé de la marine de
Bordeaux. Joseph Averous rejoint donc Bordeaux avec
la première promotion de Santé Navale pour réaliser sa
troisième année de médecine. Il porte l’uniforme des
aspirants de deuxième classe et est attaché au service
de chirurgie de l’hôpital Saint-André.
Quelle différence dans la thérapeutique des plaies et
dans les résultats opératoires. Les idées pastoriennes
avaient pénétré le milieu bordelais, le rôle des
microbes dans l’infection était reconnu et souligné,
avec non seulement l’importance de l’antisepsie
prônée par Lister, mais aussi d’une asepsie rigoureuse,
fondamentale en chirurgie et les Bordelais suivaient les
recommandations de Pasteur qui dataient de 1878 : «
Si
j’avais l’honneur d’être chirurgien, après m’être lavé
les mains avec le plus grand soin, je n’utiliserais que
de la charpie, des bandelettes exposées dans un four
à température de 130 à 150° et je n’emploierais jamais
qu’une eau qui ait subi une température de 110°
».
Ainsi la suppuration, qui a Brest était la règle, était
rare à Bordeaux. Et les interventions sur l’abdomen si
redoutées étaient courantes et couronnées de succès.
L’enseignement était par ailleurs remarquable.
En 1892, Joseph Averous soutient sa thèse. Reçu
docteur en médecine, il est promu médecin auxiliaire
et rejoint Brest pour suivre les cours de l’École
d’application mais ceux-ci ne démarraient que
quelques mois plus tard.
Landevennec
C’est ainsi que Joseph Averous se retrouva à
Landevennec face à l’île de Terenez, où la rivière de
Châteaulin, l’Aulne, se jette dans la rade de Brest.
Il y a là, sous le commandement d’un lieutenant
de vaisseau, une cinquantaine de marins auxquels
s’ajoutent en semaine quelques ouvriers de l’arsenal
chargés de l’entretien des bateaux en fin de vie. Tout
ce petit monde justifie la présence d’un médecin
auxiliaire dans la mesure où le médecin le plus proche
est à Crozon à 20 kilomètres de là, très content qu’un
collègue marin vienne le soulager. Les militaires
donnent peu de travail et Joseph Averous fait
l’expérience d’une médecine à mains nues intervenant
auprès de nourrissons dont l’un se déshydrate de
façon inquiétante, faisant des accouchements...
gratuitement, bien entendu.
Logé au bourg chez une veuve de pilote, la population
lui témoignait sa reconnaissance
: un forestier
apportant deux tombereaux de bois pour le chauffer,
un fermier déposant un pot de crème tous les jours
pour son petit-déjeuner... Bref, c’était la vie de
château.
L’École d’application
Tout à une fin et voila Joseph Averous à l’École
d’application.
Les cours échelonnés sur 6 mois portent sur
la pathologie exotique, la chirurgie d’armée, et
l’administration.
Parallèlement Joseph Averous, dans le cadre de stage
pratique, reprend pied dans cet hôpital qu’il a quitté
voilà deux ans et demi.
Quel bouleversement
! Un médecin vient de suivre les
cours de l’institut Pasteur et du coup un laboratoire de
bactériologie est ouvert.
Les tuberculeux sont soignés dans une salle spéciale.
Les résultats opératoires ont totalement changé
et rejoignent presque ceux de Bordeaux
: plus de
suppuration et la chirurgie ne se cantonne plus à la
chirurgie des membres.
Apte à la mer, Joseph Averous est promu médecin de
deuxième classe entretenu.
Premier embarquement
Il embarque le 5 octobre 1893 sur la Vienne, navire de
transport pour le littoral.
Le voilà immergé dans un milieu nouveau pour lui
: le
milieu des officiers de marine. L’accueil est excellent
et il passera 10 mois agréables allant de port en
port de Toulon à Oran et à Alexandrie. Un incident
toutefois lui fit percevoir qu’il avait intérêt à étudier
de plus près les règles hiérarchiques. En rejoignant son
bateau, à bord d’un youyou, il croisa un capitaine de
vaisseau, surnommé, non sans raison,
le tigre
, qui lui
intima l’ordre de lui rendre les honneurs, sous quelle
forme
? Il l’avait salué... Il fallait lever les rames. Son
ignorance lui valut 15 jours d’arrêt, vite levés.
Madagascar
Désigné pour faire campagne à Madagascar en 1895,
Joseph Averous fait sa première expérience de la
guerre. Il embarque sur la Rance à Majunga. L’état
sanitaire du corps expéditionnaire est lamentable.
Le paludisme et la dysenterie ont fait d’effroyables
ravages. L’effectif du 200
e
régiment de Ligne a fondu
et les hommes sont tombés dans un état d’apathie
et d’indifférence tel qu’ils sont insensibles à l’état de
leurs camarades. Devant des soldats incapables de
se relever personne ne bougeait et Joseph Averous
dû les rappeler à leurs devoirs. Des chalands remplis
de malades et de mourants descendaient la rivière
et chaque soir on couchait sans cercueil 30, voire 40
cadavres dans les tranchées. L’état moral des troupes
était très bas et même inquiétant. C’était la faillite
totale de l’expédition.
La Rance quitte Majunga pour Tamatave. Le médecin
de deuxième classe Joseph Averous débarque avec les
compagnies envoyées à terre pour soigner les hommes
des unités d’infanterie et d’artillerie de marine. L’état
sanitaire n’est guère meilleur qu’à Majunga. Joseph
Averous les soigne de son mieux. Un capitaine estime
d’ailleurs qu’il est trop bon, jusqu’au jour où sur un
brancard il l’interpelle «
Docteur je pisse du Bitter
»
: il
avait une bilieuse hémoglobinurique.
Les combats s’intensifient
; un poste de secours avec
Joseph Averous et un quartier-maître infirmier est
aménagé dans une case, avec pour l’évacuation des
blessés un filanzane et 4 porteurs qui portaient pour
tout vêtement un sac sur lequel était cousue une
grande croix rouge. Tamatave prise, Joseph Averous
bénéficie de 3 mois de congé puis repart pour une
deuxième campagne à Madagascar dans un contexte
apaisé. Avec le Pourvoyeur, il découvre les paysages
magnifiques des Comores, de la Réunion, de Maurice.
Mais Joseph Averous ne va pas bien, il maigrit à vue
d’œil, le médecin chef de l’hôpital de Tamatave le
fait rapatrier d’urgence. À son arrivée à Brest, il écrit
:
«
ma famille m’attendait, chacun en me voyant avait
les larmes à l’œil. Seule ma femme m’encourageait
: je
te guérirai, je te guérirai
». Elle lui fait avaler 10 œufs
crus par jour. Quelle était cette maladie
? On ne peut
s’empêcher de penser à la mort des frères et sœurs de
tuberculose.
Après trois mois de convalescence, Joseph Averous
reprend la mer sur le croiseur d’Assas. Sa santé reste
précaire. Son aptitude à la mer et à faire campagne
est mise en cause. Il s’interroge. Il n’a aucune envie
de démissionner, le mieux serait d’obtenir un poste à
terre. C’est dans cet esprit qu’il prépare le concours du
prosectorat d’anatomie. Reçu premier, il put choisir le
poste de Brest. Ce succès au prosectorat décida de sa
carrière.
Le prosectorat et la formation à la chirurgie
Nommé prosecteur, Joseph Averous est sous les ordres
du professeur Verges à l’École annexe qui prépare les
jeunes étudiants au concours de santé navale. Avec
lui, Joseph Averous dissèque avec ardeur et prépare
des pièces de démonstration. Les cours du professeur
Verges étaient d’une clarté remarquable et Joseph
Averous s’en inspirera quand il sera plus tard, à son
tour, nommé professeur.
Parallèlement, Joseph Averous reçoit une formation
de chirurgien. Il a comme maître le médecin
principal Barret, compétent, d’abord assez froid mais
foncièrement bon.
Assez vite, il devient l’aide opératoire attitré de Barret
qui peu à peu lui passe le bistouri.
Joseph Averous est intéressé par toutes les nouveautés
et découvre le traité de Lejars sur la chirurgie
d’urgence. Il en fait part à Barret qui lui offre
d’exécuter avec lui les opérations qui y sont décrites,
à condition qu’il les exécute auparavant sur des
cadavres. Il fut convenu que Barret ferait la première
opération et Averous la deuxième.
Un cas d’appendicite aiguë se présente chez un
jeune aspirant, Barret décide l’intervention. C’était
la première appendicectomie que l’on faisait à Brest.
Barret la pratique, point à point, comme dans le traité
de Lejars. Le malade guérit sans incident.
Quelques jours plus tard, un second cas se présente
chez un matelot
: «
Barret me propose de l’opérer
».
Ce fut un événement
: laisser opérer un médecin
de deuxième classe
! «
Tout allait pour le mieux,
l’appendice était enlevé mais le catgut qui retenait
le cæcum se rompt et le cæcum disparaît. M’armant
d’une pince en cœur je cherchais le cæcum
».
Un assistant, médecin de première classe, jaloux,
manifestait sa satisfaction devant cette difficulté.
«
Laissez faire ce jeune homme, il va se débrouiller
»
dit le médecin chef Abelin. «
Je n’oublierais jamais le
bien que me firent ces paroles
». Averous ramena le
cæcum et tout se termina au mieux.
Le calme dont il fit preuve impressionna Barret et
renforça encore sa confiance.
Les découvertes se succédaient
: les rayons X venaient
de trouver une application dans le repérage des
projectiles. Un matelot avait reçu accidentellement une
balle dans le coude. On fit appel au pharmacien qui
venait d’installer son laboratoire de recherche. Tous
les médecins vinrent voir le blessé sous écran. Bien
repéré, Barret enleva le projectile sans difficulté.
Joseph Averous garda une profonde reconnaissance
à Barret et écrit
: «
je me suis efforcé au cours de ma
carrière de faire pour mes jeunes camarades ce que
Barret avait fait pour moi
: dépister et former des
élèves
».
Les trois dernières années de formation se terminèrent
malheureusement dans une ambiance de conflit.
Barret, absent pour plusieurs mois fut remplacé par
un chirurgien dont l’incompétence créa des situations
explosives. Il était à peine arrivé, qu’un jeune apprenti
fut hospitalisé à la suite d’une chute. Il était stuporeux
et saignait d’une oreille et présentait par ailleurs une
fracture de la clavicule. Le nouveau chirurgien arrive
et lui secoue vigoureusement le bras. Joseph Averous
fait remarquer respectueusement l’écoulement sanguin
au niveau de l’oreille, faisant suspecter une fracture
du rocher. Sortant de sa torpeur, le blessé regarde le
chirurgien et profère un «
vieux con
!
» qui déclenche
l’hilarité générale. «
La sœur et moi, ne pouvions
nous empêcher de sourire, ce qui nous valut une
réprimande
».
Le lendemain arrive un malade avec un rétrécissement
de l’urètre. Zigouillard, comme on l’appelait, lui passe
une bougie et l’interpelle
: «
Pisse donc, tu es un
fricoteur qui ne veut pas partir en campagne
». Joseph
Averous fait de nouveau remarquer que le malheureux
ne peut pas pisser puisque la bougie n’est pas creuse.
Nouvelle réprimande.
Au troisième épisode, Zigouillard est furieux
: «
vous
vous fichez de moi
». Joseph Averous est traité de
mauvais esprit, d’indiscipliné, menacé d’une demande
de punition auprès du Directeur des Services de santé.
Il prend les devants et demande à changer de service.
C’est le chirurgien qui fut muté.
Croisière sur le Duguay Trouin
Voila Joseph Averous chirurgien confirmé et
embarqué, en guise de récompense, sur le Duguay
Trouin navire école pour les aspirants de l’École
Navale, l’équivalent de la Jeanne d’Arc d’aujourd’hui.
Ce fut une magnifique croisière
: après une descente
de l’Atlantique jusqu’au Cap Vert, le Duguay Trouin
gagna l’Uruguay et après une escale prolongée à la
Martinique remonta jusqu’à New York. Le retour sur
Brest emprunta le chemin des écoliers avec un détour
en Méditerranée. Le voyage dura neuf mois. L’accueil
fut partout chaleureux et les réceptions brillantes.
Pourtant, les premières semaines furent marquées par
un épisode tragique. En quittant Madère, un cas de
maladie contagieuse, la scarlatine se déclare chez un
homme de l’équipage. Il est isolé dans un local spécial.
Fallait-il faire demi-tour
? Après consultation avec le
commandant et son second, on décide de ne pas le
déclarer. Malheureusement, l’évolution est d’emblée
très grave avec une atteinte rénale et le malade
meurt en quelques jours. Officiellement, le décès sera
dû à une pneumonie massive. Aucun autre cas de
scarlatine ne se présentera et l’état sanitaire restera
ensuite excellent. L’un des soucis était de prévenir
cette jeunesse ardente des précautions à prendre lors
de leurs relations intimes au cours des escales. Les
recommandations furent sans doute efficaces car
aucun jeune ne rapporta de cuisants souvenirs.
Lors des escales, les deux médecins du bord pouvaient
être sollicités. C’est ainsi que Joseph Averous fut
appelé par un postier auprès d’un de ses collègues.
Il se mourait de consomption «
j’allais le voir et le
trouvais très fatigué, le teint terreux. La couleur
chocolat de son expectoration me frappa. Aurait-il
une hépatite suppurée
? Je l’examinais
: son foie était
gros et douloureux, il expectorait le pus de l’abcès
par ses bronches. Je manifestais à mon chef mon
intention d’intervenir. Il m’approuva mais ne voulut
pas participer à l’intervention
: un insuccès eut nui à
sa réputation. Je fis des ponctions qui ramenèrent du
pus et confirmèrent le diagnostic. Sous une véranda,
avec le concours de l’agent des postes auquel j’avais
confié le chloroforme et l’aide de l’aumônier du bord,
je réséquais une côte et abordais l’abcès hépatique
par voie transpleurale, déclenchant l’issue d’un flot
de pus et terminais par un drainage. L’amélioration
se produit aussitôt et j’alimentais le malade. Lorsque
nous partîmes deux semaines plus tard, il était en
excellente voie de guérison. Il me promit de ne jamais
m’oublier dans ses prières
».
À l’établissement d’Indret
L’affectation suivante 1901-1902, est moins
prestigieuse. C’est le retour à une fonction de
généraliste dans l’établissement national d’Indret sur
la Loire, à proximité de Nantes. Cet établissement
construit des machines pour la marine. Les personnels
ouvriers, nombreux vivent avec leur famille à Indret
et dans les communes voisines. Tous pouvaient
bénéficier gratuitement des médicaments et des soins
dispensés par les médecins de marine.
Le directeur de l’établissement est un homme
autoritaire et suspicieux. Il veut être au courant de
tout et exige que le médecin principal lui remette tous
les matins la liste des malades avec le diagnostic, non
seulement des ouvriers, mais aussi des femmes et des
enfants.
En l’absence du médecin principal, Joseph Averous
apporte la situation journalière au directeur
: les
diagnostics n’y figurent pas. «
Je regrette, Monsieur le
directeur, mais le secret professionnel me l’interdit...
»
« la situation sanitaire est excellente, en cas de maladie
contagieuse, je vous en ferai part
». Le professeur
Morache, professeur de médecine légale à Bordeaux
et directeur du Service de santé militaire du corps
d’armée nous a appris
: «
dans les cas difficiles vous
devrez vous souvenir que vous êtes médecin militaire,
médecin d’abord, militaire ensuite
». Le ton monta
:
«
si votre épouse avait une maladie qu’elle ne tiendrait
pas à faire connaître et que je sois son médecin,
voudriez-vous que je la divulgue
?
». Furieux le
directeur me met à la porte.
L’affaire fit grand bruit, les journaux s’en emparèrent à
Nantes et à Paris. Des camelots criaient
: «
Demandez
le scandale d’Indret
! Le directeur qui veut voir les
dessous de nos femmes
! Le vieux satyre
!
».
La réaction du directeur fut curieuse et habile. Au
retour du médecin principal, il l’apostropha «
alors
Monsieur ce sont vos médecins en sous-ordre qui vous
apprennent votre service
?
».
Malgré cette affaire, Joseph Averous fut promu
médecin de première classe en décembre 1902 et
termina son séjour sans accroc en décembre 1903.
Indochine
Il embarque ensuite en 1904 en qualité de médecin-
major sur le croiseur d’Assas qui doit rejoindre
l’escadre d’Extrême-Orient et convoyer quatre contre-
torpilleurs.
Le bateau était en mauvais état.
Dès l’escale d’Alger les ennuis commencent. En
lançant les machines, un coude de tuyau éclate
inondant de vapeur toute une chambre de chaufferie.
Le mécanicien eut la présence d’esprit de commander
aux chauffeurs de se plaquer à terre. Il avait appris
que la vapeur monte toujours et donc il ne faut jamais
essayer de se sauver par les échelles de fer. Il leur
évita ainsi des brûlures internes toujours si graves.
Le voyage se poursuivit, très pénible. Le bateau
n’avançait pas, les avaries se succédaient. La chaleur
déjà très pénible à Djibouti et devint intolérable
lorsqu’il fallut s’arrêter à Mirbate en Arabie pour faire
le plein de charbon. On ne pouvait rester sur le pont
dans la journée. Les soutiers travaillaient dans des
conditions épouvantables. La température à minuit
atteignait 41°. Deux d’entre eux tombèrent, comme
des masses, frappés de coups de chaleur. Ils ne furent
réanimés qu’avec difficulté.
Les mécaniciens
ne pouvaient
rester surveiller
les machines en
permanence tant il
faisait chaud.
Le commandant
semblait insensible
aux souffrances des hommes. Joseph Averous
intervient auprès de lui, lui déclarant qu’on ne pouvait
humainement pas imposer aux hommes un séjour
prolongé dans cette température d’étuve et il l’invita
à l’accompagner dans le compartiment des machines.
Il y faisait 65°. Il ne put y résister. Par malice, un
mécanicien se mit au travers du passage pour l’obliger
à s’y tenir ne serait-ce qu’un moment.
Au cours du voyage Joseph Averous prend encore
plus conscience des conditions de vie des médecins
coloniaux et du tribut qu’ils doivent payer pour servir
les hommes de tout pays.
À Djibouti, le chef de service de l’hôpital est au bout
du rouleau, atteint d’une maladie pulmonaire évoluée.
À Colombo, Joseph Averous rend visite aux malades
de l’hôpital, il a la malheureuse surprise d’y retrouver
un ancien élève qu’il a connu au temps où il était
prosecteur. Incapable de rallier la France, un paquebot
l’a déposé là. Il était en phase terminale d’une
tuberculose contractée en Indochine. Le d’Assas finit
par arriver à Saïgon. Sale et mal tenu, il resta de longs
mois dans la rivière de Saïgon. Joseph Averous retire
de cette campagne un sentiment pénible de temps
perdu, d’inutilité.
Ici se terminent les Mémoires tels qu’ils apparaissent
dans le livre
: Sur mer et au-delà des mers – La vie d’un
jeune médecin de Marine 1888-1904
Les étapes ultérieures
Les étapes ultérieures ne sont connues que de façon
fragmentaire.
À peine rentré d’Extrême-Orient, voilà de nouveau
Joseph Averous embarqué sur le Du Chayla. Il
participe en 1907 au débarquement à Casablanca
et opère les blessés à l’ambulance du consulat. Son
comportement lui vaut d’être nommé chevalier de la
Légion d’honneur le 9 août 1907 pour faits de guerre.
En 1908, Joseph Averous est affecté comme médecin
résident à l’hôpital maritime de Brest et va pouvoir
pendant 4 ans développer son activité de chirurgien.
Parallèlement, il est nommé en novembre 1909
professeur d’anatomie à l’École annexe. Un de ses
élèves écrit
: «
je revois le professeur Averous nous
enseignant avec tant de maîtrise, d’ardeur et de
conviction l’anatomie dans cet amphithéâtre de la rue
Fautras avec l’aide de son prosecteur Le Berre
».
Joseph Averous est nommé médecin principal en 1911.
Le Duguay Trouin dans la guerre
Joseph Averous passe sur le Duguay Trouin comme
médecin-major. On sent venir la guerre. Le bâtiment
jusqu’alors navire école est transformé en navire-
hôpital avec Joseph Averous comme chirurgien en chef
aidé de deux médecins de 2
e
classe
: Baillet et Hamet.
Il dispose de 660 lits «
confortables
» et embarquera
jusqu’à 800 et même 1 000 blessés.
En octobre 1914, le Duguay Trouin traite et évacue
2 000 soldats anglais et belges et d’octobre à décembre
1914, 10 500 blessés essentiellement de l’armée des
Flandres.
En 1915, le Duguay Trouin est dans les Dardanelles, il
prendra en charge 2 000 blessés en avril et 31 500 de
juin à décembre 1915 dont 320 mourront à bord. Le
comportement de Joseph Averous marque les esprits.
Le pharmacien en chef Saint-Cernin écrit
: «
je
connaissais le combattant de Madagascar et du Maroc.
J’ai appris aux Dardanelles à connaître l’homme de
cœur, sensible à toutes les infortunes, à toutes les
douleurs
; le chirurgien incomparable par son savoir,
son habileté, son esprit de décision, ne craignant ni les
risques, ni les responsabilités
».
De son côté, l’Amiral de Boisanger écrit
: «
j’avais pour
lui plus que de l’admiration, ma sympathie datait des
Dardanelles où je le voyais faire les opérations les plus
graves dans des conditions médiocres et m’accueillir
avec son bon sourire quand je le félicitais pour les vies
sauvées
». Il ajoute
: «
je peux apporter ce témoignage.
Quand un blessé grave arrivait sur la plage, s’il avait
sa connaissance, il demandait
: le Duguay Trouin est-il
en rade
? Ce soldat ignorait le nom du chirurgien, mais,
en ligne on savait que le blessé soigné sur le Duguay
Trouin avait plus de chances de s’en tirer
».
Joseph Averous est cité à l’ordre de l’armée navale et
fait officier de la Légion d’honneur le 26 novembre
1915 pour faits de guerre. Il participe ensuite aux
différentes opérations navales en Méditerranée à partir
de Salonique et de Cordou jusqu’en 1917.
Pourquoi de tels résultats:
pragmatisme et organisation
Il avait mesuré tout l’intérêt de la radiologie et
militait pour l’extraction précoce des projectiles qui
entraînaient avec eux des fragments de tissus souillés
de terre avec la menace d’une gangrène gazeuse qui
se développait avec une vitesse effrayante. Dans cette
chirurgie de l’avant il fallait aller vite, très vite et faire
au plus simple.
Sous une ampoule rayons X, le blessé sur son brancard
était examiné et sous écran, le projectile repéré. Joseph
Averous introduisait alors une longue aiguille qui
butait sur le corps étranger et lui servait de guide. Ce
n’était pas encore assez rapide tant l’afflux des blessés
était important, aussi demanda-t-il à un aide de faire
le repérage et de placer l’aiguille, pendant que lui
opérait...
En 1917, Joseph Averous est nommé chef des services
chirurgicaux de l’hôpital maritime de Brest. Il y restera
huit ans et sera promu médecin en chef de deuxième
classe en 1919 et médecin en chef de première classe
en 1923.
Il devient médecin chef de l’hôpital de 1925 à 1928.
En 1928, il est affecté à la Direction centrale des
services de santé à Paris en qualité d’inspecteur
d’hygiène et d’épidémiologie et vice-président du
conseil supérieur de santé.
Il est promu médecin général en avril 1930 et fait
commandeur de la Légion d’honneur.
Il rejoint Brest comme Directeur du Service de santé
de la deuxième région maritime. Il est toujours très
attaché à son cher hôpital maritime et fera construire
une salle d’opération moderne avec un éclairage par
scialytique et une cabine de radiographie attenante.
Joseph Averous termine une carrière passionnante le
25 décembre 1932, le jour de ses 62 ans, couvert de
décorations françaises et étrangères
: commandeur
de la Légion d’honneur, Croix de Guerre 1914-1918
avec palmes, officier de l’Instruction publique... Mais
surtout avec la fierté d’avoir été comme le veut la
devise de Santé navale
: «
Toujours au service des
hommes
».
Pendant sa retraite Joseph Averous a donné libre
cours à sa passion pour l’histoire et va écrire des
biographies, en particulier celle d’Auffret, son maître
en anatomie et celle de Caffarelli premier préfet
maritime de Brest sous le
Consulat et l’Empire resté si
populaire pour, entre-autres,
son comportement lors du
blocus du port de Brest par la
flotte anglaise.
Très attentif à sa famille Joseph
Averous avait vu avec joie
son fils Jean amorcer à
son tour une carrière
de médecin de marine.
Frappé par la tuberculose
sur le Yang Tse Kiang
il sera réformé
et deviendra un
phtisiologue reconnu.
Il vit douloureusement la guerre de 39-45 mais a la
joie de voir la libération avant de mourir en juin 1948
à Gémozac en Charente-Maritime.
MGI (2eS) J. KERMAREC
Références
Sur Mer et au-delà des Mers
La vie d’un jeune médecin de marine – 1888-1904
(L’Harmatan)
Dictionnaire des médecins, chirurgiens et pharmaciens
de Marine.
Sous la direction de Bernard Brisou et Michel Sardet
(Service historique de la défense)