LE DOCTEUR PROSPER HALLER

Médecin de la MISSION FOUREAU-LAMY
(SAHARA-TCHAD 1898-1900)

SA FAMILLE – SON ENGAGEMENT

Prosper Haller est né le 24 août 1869 à Lutzelbourg en Alsace.
La même année, un certain Stanley, âgé de 28 ans, partait à la recherche du Docteur Livingstone vers l’Afrique des grands lacs.
Georges, son père, fils de tailleur, premier de sa famille à faire quelques études, avait renoncé à la religion protestante pour épouser Marguerite Paulus, fille très catholique d’un hôtelier de Haguenau. Entré à la compagnie des chemins de fer de l’Est, il était depuis peu de temps chef de gare à Lutzelbourg lorsqu’éclata la guerre franco-allemande de 1870, suivie de la déchirure que la défaite française produisit dans les familles alsaciennes : après le traité de Francfort, il n’y eut le choix, pour les Alsaciens, qu’entre rester et devenir allemands ou abandonner l’Alsace pour rester français. Refusant le poste, important pour ses 37 ans, de chef de la gare de Strasbourg, il préféra opter pour la nationalité française et quitter l’Alsace. Il fut affecté à la gare de Pagny-Sur-Moselle et finit sa carrière comme inspecteur des Chemins de Fer de l’Est à Lunéville. Il eut cinq enfants dont Prosper, qui était le troisième de la fratrie. Prosper fit ses études secondaires au collège Saint Michel à Lunéville, son P.C.N. à Nancy et ses études de médecine à l’ÉCOLE DE SANTÉ MILITAIRE de LYON.
Docteur en médecine en juin 1893, il est affecté au Puy, où il ne se plaît pas. Il demande alors à partir en Afrique et est envoyé dans le Sud algérien, à Biskra en 1894.
Là, il est séduit par le désert et profite d’un congé en France pour demander d’accompagner la mission saharienne projetée par Fernand Foureau et le commandant Lamy.
Il est accepté comme médecin de la mission avec son confrère Fournial.
Il a alors 28 ans.

LA POLITIQUE FRANÇAISE EXPANSIONNISTE À LA FIN DU SIÈCLE DERNIER

À partir de 1870, à la sortie de la guerre, Gambetta, puis Jules Ferry, veulent doter la France d’un empire colonial, à l’instar des autres puissances européennes, en particulier en Afrique :

  • on œuvrera au rétablissement de la grandeur de la France ;
  • on assurera de nouveaux débouchés à la production française, principalement aux textiles et à la métallurgie ;
  • on apportera la paix et la civilisation aux peuples colonisés.
L’acte de Berlin de 1885 stipule que seul l’exercice officiel de l’autorité créait un droit de possession. Cela déclencha une course contre-la-montre des corps expéditionnaires armés. De cette époque émergeront des personnalités prestigieuses, car autant humanistes que militaires, tels que les généraux Faidherbe, Joffre, Lyautey ou Borgnis-Desbordes. Les colonialistes français rêvent depuis longtemps de tenir la région du lac Tchad pour unir trois groupes de nos possessions africaines. Le COMITÉ DE L’AFRIQUE FRANÇAISE et la SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS s’entendirent avec le gouvernement : on enverrait vers le Tchad trois expéditions, simultanément, en 1898.
  • La mission Foureau-Lamy gagnerait l’Algérie et s’enfoncerait vers le sud à travers le Sahara.
  • La mission AFRIQUE CENTRALE partirait du Sénégal, menée par les capitaines Voulet et Chanoine (auxquels succéderont à la suite d’événements dramatiques, les capitaines Joalland et Meynier).
  • La mission du Chari, conduite par Émile Gentil, ancien officier devenu administrateur colonial, et le lieutenant de vaisseau Bretonnet partirait du Sud de la région de l’Oubangui par le bassin du Chari.
Genti avait déjà, en 1897, réalisé l’exploit d’atteindre le lac Tchad, arborant le pavillon français, avec un bateau vapeur, le « Léon Blot », porté en pièces détachées depuis Brazzaville jusqu’à Bangui.

L’AFRIQUE CENTRALE AU SIÈCLE DERNIER

Elle représentait une zone peu explorée et hostile. Les quelques explorateurs de ces contrées restent célèbres : ainsi Mungo Park, écossais, en 1822, Denham, Clapperton et le Docteur Oudeney, anglais, également en 1822, René Caille, français en 1828, les Allemands Barth et Overweg (1850-1855) et Nachtigall, médecin militaire allemand (1869-1875). La mission Marchand, en route vers la haute Égypte depuis l’ouest, passera largement au sud du Tchad, mais le camouflet anglais, de Fachoda éveilla l’intérêt de la nation pour ces régions. Le lieutenant-Colonel P.L. Monteil mènera une mission exploratrice restée célèbre en 1890, depuis Saint-Louis du Sénégal, jusqu’à Tripoli en Libye par Koula et le Tchad. Nul doute que Savorgnan de Brazza impressionnât la carrière du jeune Prosper Haller.

Le Tchad, à cette époque n’est ni un pays, ni un peuple, c’est un lac. Les pays qui l’entourent différent autant par leurs ethnies, leur culture, leurs climat, végétation et faune, que différent les nations européennes entre elles : Kanem au Nord, Bornou au sud-Ouest, Baguirmi au sud-Est, Ouaddaï à l’Est, avec sa capitale Abèche qui deviendra un point fort de la présence française au Tchad de ce début du siècle. L’Afrique Centrale était quelques siècles après l’Hégire, le réservoir d’esclaves nègres, au profit des pays arabes du nord-Est, et en constituait la principale richesse.
Les villages du Chari, du Logone, du Baguirmi subissaient les razzias et les captures incessantes des sultans, petits et grands, des trafiquants et négriers de tout poil. Les convois de 1000 à 1200 captifs, sillonnaient le pays pour être échangés contre du fer, du mil, des perles, des étoffes, des armes.

Fernand Foureau et François Lamy
Fernand Foureau a 48 ans en 1898 et, souhaite depuis longtemps relier l’Algérie au Soudan, à travers des régions et des peuplades Touaregs, qu’il connaît bien. Son physique de conquistador, mince, front dégagé, yeux brillants, barbiche en pointe, s’accompagne d’un solide moral et d’une rare intelligence. Il bénéficie d’un legs de la famille Renoust Des Orgeries pour réaliser la mission de poursuivre l’exploration scientifique du Sahara. François Lamy a 40 ans en 1899. Ancien élève de Saint-Cyr, il fait en Algérie, son apprentissage de méhariste. Arabisant, il adopte le mode de vie des nomades, assimilant leurs cultures et leur langue qu’il parle parfaitement, gagnant leur amitié et leur confiance. Énergique et fin, avare de discours et de compliment, prévoyant, sachant, malgré son aspect un peu distant, dissimuler sa malice derrière le lorgnon qui chevauche son nez en bec d’aigle.
Le commandant Lamy, alors officier d’ordonnance du Président de la République, Félix Faure, après avoir servi sous les ordres de Gallieni à Madagascar, fut présenté à Foureau et chargé, en raison de l’insécurité du désert, de l’escorte militaire de la mission scientifique, dont le but second était de rejoindre les deux autres missions, Voulet-Chanoine et Gentil-Bretonnet, dans la région du lac Tchad, région attribuée à la France par les conventions internationales et soumises au redoutable esclavagiste, le cruel et sanguinaire RABAH. Celui-ci, qui s’était proclamé Sultan du Bornou, venait d’Égypte. Grand négrier, haïssant les étrangers, explorateurs et missionnaires, il était à la tête de milliers de guerriers, avec des places fortes et des magasins de ravitaillement. Ses espions étaient partout et il coupait volontiers la tête des noirs qui pactisaient avec les blancs. Par ailleurs, il n’était pas rare de voir un chef de village vendre ses administrés, parfois même des gens de sa famille, contre rétribution.

LA MISSION SAHARIENNE COMPREND

  • 4 civils :
    F. Foureau, chef de mission – Charles Dorian, député de la Loire – N. Villatte, astronome – L. Leroy, photographe amateur, ami de Foureau
  • 11 officiers :
    Le commandant Lamy, le capitaine Reibell.
    Les lieutenants Rondenay, Métois, Verlet-Hanus, Britsch, le plus jeune, sorti de Saint-Cyr en 1896, de Thezillat, Oudjari et de Chambrun.
  • 2 médecins majors :
    Henri Fournial, méridional, exubérant et artiste et PROSPER HALLER : « d’un moral bien trempé, énergique et réservé, tête froide et cœur chaud, il avait une silhouette élégante et une attitude un peu distante, qui en imposait », selon Reibell.
  • 306 sous-officiers, caporaux et soldats, dont 33 Européens, auxquels se joignent, le 4 février 1899, 29 spahis sahariens du lieutenant de Thezillat. Elle démarra avec plus de mille chameaux, deux douzaines de chevaux et un mulet. Les animaux de remplacement sur lesquels comptait Foureau ne furent jamais aux rendez-vous qu’il avait donné à leurs propriétaires.

LE TRAJET

La mission quitte Ouargla, aux confins du Sahara sud algérien, le 23 octobre 1898, répartie en cinq sections, et se dirige plein sud, traversant d’immenses plaines caillouteuses, à la végétation de plus en plus rare, et entrecoupées de dunes ; le trajet journalier est de trente à cinquante kilomètres : ainsi les quatre cents premiers kilomètres seront parcourus en un mois et quatorze étapes. Vient ensuite le pays Targui, en novembre, dunes et montagnes isolées, arides et ravinées, puis le pays des Ajjer, en décembre, avec des vallées verdoyantes, des moutons et chèvres, auquel succède le Tindesset, atteint à la fin de l’année et où la caravane chemine jusqu’à 1 350 m d’altitude entre crevasses et précipices ; la température est glaciale jusqu’à -6 °C ; les plaines sont hérissées de blocs rocheux.
Passage le 9 janvier de la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée et l’Atlantique. Puis le Tanezrouft, le vrai désert sablonneux ; la route est jalonnée de carcasses de chameaux, voire de squelettes humains ; faim, soif, fatigue pousseront au suicide un tirailleur, puis un autre ; rareté des puits ou des pâturages : cent quarante chameaux y périssent en sept jours, entre autres hécatombes.
L’AÏR, en février 1899 : de nouveau de l’eau et de la végétation, des oasis, des villages ; la mission y séjourne jusqu’en octobre. Ighezzar, Aouderas, Agades ; problèmes d’approvisionnement, de trahison des guides, épreuves de la soif en août, après un premier départ d’Agades.
La mission repart en octobre pour le Soudan, vers le Bornou ; Zinderest est atteint en novembre 1899. La mission peut se reposer et reprendre des forces jusqu’en fin décembre 1899 où elle part en direction de l’Est, vers le Tchad. Elle a été précédée par la mission Afrique Centrale de Joalland et chemine au travers d’une végétation tropicale.
Si la soif, la faim, la fatigue sont loin derrière, l’ombre de Rabbah apparaît avec les milliers et milliers de squelettes humains qui signent son passage et sa cruauté et qui jonchent les pistes, les champs et les villages dévastés et pillés.
Enfin, le lac est atteint le 21 janvier 1900, après 3 000 km et 500 jours ; il est contourné par le Nord, la mission empruntant tantôt ses rives marécageuses où l’on s’enfonce jusqu’à la taille, tantôt des étendues plantées de hauts roseaux de cinq mètres de haut ou sablonneuses, rappelant le Sahara. On marche de nuit, à cause du soleil de plomb. La faim se fait de nouveau sentir, de même que la fatigue, la peur et le danger : fauves, moustiques voraces, poux, vipères mortelles, scorpions et… anthropophages.
À bout de vivres et de forces, la mission saharienne établit, le 18 février 1900, la jonction complète avec la mission Afrique Centrale de Joalland et Meynier.

SUD-ALGÉRIEN – OUARGLA – Octobre 1898

« … De plus en plus, j’espère en notre mission. Son but est scientifique, ses intentions sont pacifiques, mais son allure imposante la fera respecter… »

« … La santé du détachement me donne des inquiétudes. Nous avons eu déjà pas mal d’accès de fièvre chez de vieux paludéens… »

« … Nos chameaux resplendissaient : ils étaient d’or, ils étaient de pourpre, ils étaient beaux. Des milliers de pattes longues et sèches s’agitaient méthodiquement dans la lumière… »

« … Nous sommes en pleine monotonie. Plus ça bouge et plus c’est la même chose… »

PAYS TARGUI - Novembre 1898

« … La vie au camp est très facile : M. FOUREAU et le commandant LAMY sont les hommes les plus gais qu’on puisse imaginer, leur entrain nous gagne et nous menons joyeuse vie au milieu de la monotonie du sable… »

« … FOURNIAL et moi, sommes chargés de la botanique, de la zoologie et de l’anthropologie. Nous en sommes enchantés mais cela nous donne beaucoup de travail. Ce matin à ma visite, j’ai eu six malades… »

« … La deuxième section nous a rejoint à trois heures seulement. Elle a été retardée par le caporal-receveur qui a eu plusieurs syncopes en route. À l’arrivée il n’avait plus sa connaissance. C’était l’agonie, il est mort ce soir à 7 heures… »

LE TINDESSET – Décembre 1898

« … Autour de nous, c’est la mort et le néant, ou le chemin qui y conduit… »

« … Trente chameaux sont restés en route ; aujourd’hui les hommes doivent marcher à pied et ils n’ont même plus de chaussures… »

« … La route est jalonnée de carcasses de chameaux dont la vue augmente encore la désolation ambiante et dont nous accroissons le nombre… »

« … Les hommes dorment ou marchent jusqu’à TADENT, je croyais connaître le désert ; près de deux cents de nos chameaux ont été abandonnés dans le Tanezrouft, usés par la faim, la soif et la fatigue… » L’AÏR – Février 1899

« … Tous les jours, des dizaines d’animaux restent en route : accidentés, perdus, volés au pâturage, surtout ils meurent d’épuisement. Les chaamba sont obligés d’allumer des torches sous la queue des pauvres bêtes pour essayer de les faire lever au moment du départ… »

« … THEZILLAT et ses hommes étaient restés deux jours sans boire, ils ouvraient la panse des chameaux crevés pour y récupérer l’eau. »

« … Nous sommes dans un état crasseux très remarquable, aussi les poux nous visitent souvent… »

IGHEZZAR – Mars 1899

« … Le soir, leur absence nous inquiète et deux Sokkan furent envoyés à leur recherche. Ce n’est qu’hier, dans l’après-midi que ces derniers sont revenus bouleversés : ils avaient trouvé Miloud et le tirailleur assassinés et dépouillés non loin du puits… »

« … On laissa les Touaregs s’approcher jusqu’à une centaine de mètres, avant de commander le feu, une grêle de plombs les arrêta net. Dix furent tués, plus vingt méhara, une cinquantaine de blessés, les chameliers s’effondraient avec leur monture. Au bout d’une demi-heure, il ne resta plus un seul des quatre cents razziens : le 12 mars 1899 j’ai donc reçu le baptême du feu… »

« … Cette privation de sommeil ne permettait pas de monter nos méharis, car sitôt perchés sur nos rallah, nous commencions à dormir, risquant de nous rompre le cou… »

« … Ces approvisionnements préparés avec tant de soins, apportés là avec tant de peines, il fallait en faire un feu parce que ces brigands n’avaient pas voulu nous vendre de chameaux… »

« … Les termites causent beaucoup de dégâts si nous n’isolons pas nos bagages du sol. Ils entrent partout et peuvent dévorer tout objet oublié sur le sol en moins d’une heure… »

« … Le 9 juin, le Commandant a sacrifié tout ce que nos pauvres moyens ne nous permettaient pas d’emporter. Malgré tous ces sacrifices, la marche du lendemain a frôlé l’impossible : cinquante kilomètres sans eau, car pour ainsi dire pas d’animaux pour en porter. Des hommes ont bu leur urine, d’autres ont ouvert la panse de quelques chameaux à moitié crevés pour y trouver de l’eau. Deux hommes sont morts d’insolation… »

AOUDERAS – Juillet 1899

« … Au moment où la gauche de la colonne allait s’engager dans l’étroit défilé, des cris retentirent derrière nous : « les Touaregs ! ». Nous sautâmes des méharis. J’entendis des balles siffler. À l’arrière gauche nous avons eu un tué et cinq blessés… Leur nombre était de cinq à six cents hommes dont cent à cheval, cent à cent vingt durent être blessés… »

AGADES – Août 1899

« … Allions nous mourir de soif ? J’ai eu à ce moment-là la sensation de la fin proche. Plus de cent cinquante hommes restaient couchés sur la route, les autres gisaient presque sans vie autour de nous attendant la mort. Si les Touaregs étaient arrivés, pas un de nos hommes n’aurait pu se lever pour se défendre… »

Vers LE SOUDAN – Octobre 1899

« … Nous sommes arrivés au puits de TEMBALLAGA après cinquante-six kilomètres de route. L’eau en était salée et sentait le rat crevé. Nous avons tué, la nuit dernière, une quinzaine de vipères à cornes… »

« … Une foule bigarrée nous suit, le spectacle est magnifique. Mon regard tombe alors sur notre troupe, à moitié nue, sans chaussures, n’ayant plus rien de l’aspect militaire. Quelle somme d’efforts, de privation, d’angoisses révèle cette tenue de gueux, quelle sensation exquise on éprouve en songeant que toutes ces souffrances, on les laisse derrière soi !… » ZINDER – Novembre 1899

« … Le commandant fait travailler à l’aménagement du Fort CAZEMAJOU pour en faire une place très forte : on installe un canon au sommet de la butte, on termine les murailles et on creuse un fossé à leur pied… »

« … Dimanche le commandant a passé en revue les tirailleurs. Il y a eu, à cette occasion, un grand tam-tam où les femmes ont dansé dans une poussière et un bruit intense… »

« … J’ai été frappé par le fait que les eunuques du Sultan, fabriqués à Zinder, (où c’est la spécialité) ont été totalement castrés. La moitié des victimes de ce traitement meurent de l’opération… »

Le lac TCHAD – 21 Janvier 1900

« … Enfin nous avons mis seize mois pour l’atteindre. Il a été l’obsession de nos rêves et pas une heure ne s’est passée sans que nous nous soyons dit « le verrons-nous ce grand lac?? ». Notre premier contact est une déception : nous devinons son immensité, mais nous ne pouvons le contempler. M. FOUREAU attend ce moment depuis plus de vingt ans… »

Et le CHARI en Février

« … Nous avons parcouru cent-quatre-vingt-dix kilomètres en quatre journées très fatigantes. Nous campons au milieu de broussailles, à deux cents mètres des Soudanais et en face de la ville de Goulfei, située sur l’autre rive du fleuve, mais pas en vue : de temps à autre, on se salue avec de la poudre… »

« … Après avoir perdu de nombreux bagages et malheureusement la lunette astronomique donnée à CHAMBRUN par M. De BRAZZA, nous sommes arrivés devant MARA avec les huit pirogues réunies par JOALLAND. Moi-même je me suis perdu et n’ai pu rejoindre la colonne de chevaux d’avant-garde que grâce aux coups de mon revolver… » 2 Mars 1900

« …Départ de MARA à cinq heures du matin pour aller camper à huit kilomètres de KOUSSERI que nous devons prendre demain. Il y aurait quatre étendards (compagnies de RABAH) enfermés dans la ville, c’est-à-dire environ quatre cents hommes dont la plupart sont armés de fusils. Le Docteur FOURNIAL qui n’est pas encore guéri, et tous les éclopés remontent le fleuve en pirogue… »

LA BATAILLE DE KOUSSERI

La ville de Kousseri est prise le 3 mars 1900, mais Rabah avait établi son camp à 5 km au nord de la ville. Il dispose de 5 000 hommes, dont 1 000 armés de fusils à tir rapide, 600 chevaux et 3 canons.
Lamy dispose de 750 combattants, 4 canons et quelques cavaliers de Gaourang, Sultan du Baguirmi. Le camp de Rabah est rapidement occupé, mais le commandant Lamy est touché, dès les premiers coups de feu, Prosper Haller raconte :

« … Le commandant agonisait, on l’avait transporté à travers les cadavres d’hommes, de chevaux, de chameaux qui jonchaient le camp, dans la propre tente de Rabah, une tente basse et conique. En entourant ses épaules de mon bras pour le relever légèrement sur sa couche, je fus frappé par la pâleur de son visage. Nous ne pûmes extraire la balle qui était entrée dans la poitrine. Il demanda si nos pertes étaient importantes et chargea le capitaine Reibell de faire l’appel. On lui apprit que Rabah avait été tué : il dit simplement : « Est-ce bien vrai ? ». À ma question, il répondit qu’il avait chaud et qu’il avait soif, puis il dit « Docteur, je souffre horriblement » mais ce furent ses seules plaintes. Il vit venir la mort et la regarda en face. Elle lui était apparue si souvent qu’elle lui était devenue familière. Il nous quitta au coucher du soleil, sans une parole d’angoisse.
Nous ne pûmes retenir nos larmes, mais nous devions, le Docteur Fournial et moi-même continuer à donner les premiers soins aux blessés, en attendant l’arrivée des bateaux qui les ramèneraient à Kousseri. Quant à Rabah, il ne réussit pas à fuir et bientôt on nous apporta sa tête et une de ses mains ».


Prosper Haller mentionne déjà le nom de Fort-Lamy dans son carnet de route, à la date du 22 mai 1900, en relatant comment il fut lui-même grièvement blessé par une balle, qui lui fractura le fémur gauche, alors qu’il accompagnait les troupes de Reibell à la poursuite du fils de Rabah, Fad El Allah, le 2 mai. Les décrets des 5 et 8 septembre 1900 créeront les territoires militaires des Pays et Territoires du Tchad.

LE RETOUR

Prosper Haller doit attendre deux mois de plus que ses camarades avant de prendre le chemin du retour. Couché sur le lit soudanais, confectionné en peau de bœuf, aménagé pour le voyage selon ses indications, il est embarqué sur le « Léon Blot », en décembre 1900 : l’Oubangui, le Congo, Léopoldville, transport maritime par les Belges jusqu’à Anvers, puis Paris et le Val-de-Grâce, où il est opéré en 1901, au prix d’un raccourcissement de la jambe gauche.

SA CARRIÈRE CIVILE ET LA GUERRE 14-18

Chevalier de la Légion d’Honneur à 32 ans, Prosper Haller doit quitter l’armée à 32 ans en raison de sa blessure. Médecin des services d’électrothérapie et de mécanothérapie à l’Établissement Thermal de Vichy, pendant la saison d’été, et l’hiver, comme médecin de la maison de repos de San Salvadour, sur la côte d’azur, pour officiers convalescents. Il épouse, en 1907, la sœur du directeur de la Compagnie Fermière de Vichy.
Mobilisé en 1914, affecté au recrutement à Vichy pendant un an, il demande à partir sur le front. Il est nommé médecin chef au 125e régiment d’infanterie, puis dirige l’ambulance chirurgicale, l’Autochir du 20e corps d’armée. Il est de nouveau blessé à la hanche en 1917 et est évacué.
De retour à Vichy, il fait de l’Établissement Thermal le premier du monde, créant des appareils de mécanothérapie nouveaux. Il soigne de cette façon des personnalités françaises et étrangères, parmi lesquelles le Sultan du Maroc, Mohammed V et l’empereur d’Annam, Bao-Dai. Le 18 décembre 1925, il est fait officier de la Légion d’Honneur dans la cour des Invalides et décoré par son camarade de la Mission Saharienne, Fournial, son meilleur ami. Continuant de diriger les Établissements Thermaux pendant la guerre 40-45, il était souvent sollicité pour apporter son témoignage et son expérience dans de nombreuses sociétés scientifiques, médicales et géographiques. Il meurt le 15 août 1946 à Vichy et fut enterré sous une dalle portant l’inscription : Docteur Haller 1869-1946 Médecin de la Mission Foureau-Lamy. Modeste, malgré les nombreux témoignages d’admirateurs de tous les coins du monde, il n’a souhaité que ce rappel.

ÉPILOGUE

La vie exemplaire du Docteur Prosper Haller met en lumière l’engagement courageux d’un jeune médecin militaire, attiré par d’autres horizons que les murs d’une caserne de garnison. À 17 ans d’intervalle, blessé au combat, il doit quitter l’armée, mais il fera des Établissement Thermaux de Vichy, qu’il dirige, le plus grand centre du monde pour la rééducation des invalides civils et militaires. Sa carrière nous rappelle le contexte historique de notre présence en Afrique, libératrice, pacificatrice et humanitaire. Elle éclaire, en particulier, une des premières pages de l’histoire moderne du Tchad.

Docteur Philippe MAUCORT

Remerciement à Madame Françoise Abadie pour la documentation qu’elle nous a fournie sur Prosper Haller, grand-père de son défunt mari, Maître J. Cl. Abadie et sur la mission saharienne.
On pourra consulter avec intérêt son livre : SAHARA-TCHAD(1898-1900) – carnet de route de Prosper Haller, Médecin de la mission Foureau-Lamy (Ed. L’Harmattan).