"UN BIFFIN DANS MON CANOTT"

(Terme employé par les marins, lorsqu’un militaire de l’armée de terre embarque sur un bâtiment de la Royale).

J’étais en 1976, chirurgien à l’hôpital maritime de Brest, lorsque vers 15 heures, je suis convoqué par le médecin-chef. Il me signale que je dois embarquer rapidement à bord de la frégate accompagné du médecin-réanimateur. Nous devons nous munir de médicaments, de matériel chirurgical et de réanimation. Un peu étonné, je lui demande les raisons de cet embarquement pour le moins précipité ! Il s’agit de manœuvres, me dit-il. Il est inutile de prévenir vos familles, « je m’en chargerai » … (deuxième source d’étonnement).

Nous sommes accueillis à bord et installés : le chirurgien dans la chambre de l’amiral, le médecin-réanimateur dans celle du chef d’État-major… (troisième étonnement). Peu après, nous sommes appelés dans le bureau du Pacha, lequel nous apprend le vrai motif de notre mission. Il s’agit d’aller secourir le Médecin-major d’un S.N.L.E., en patrouille quelque part en mer de Norvège. Celui-ci est victime d’une crise appendiculaire aiguë et l’intervention chirurgicale semble urgente. Il s’est mis lui-même sous glace et antibiotiques afin de nous attendre.

Dans des conditions météo difficiles, nous appareillons et nous nous dirigeons plein Nord à grande vitesse (25 à 26 nœuds) dans une mer démontée (5 à 6 mètres de creux). Très rapidement, je suis en proie à un sérieux mal de mer, polluant quelque peu la chambre de l’Amiral ! Heureusement, le réanimateur (armée de l’Air) se comporte comme un vieux loup de mer !

Il faut néanmoins se préparer à intervenir et à définir les conditions de l’intervention. Plusieurs hypothèses sont envisagées en fonction de l’état de la mer. (Il faut noter que la frégate a embarqué un hélicoptère) :

  • descendre à bord du S.N.L.E. et opérer sur place, (il y a une salle d’opération) ;
  • extraire directement le malade du submersible et l’hélitreuiller à bord, où il sera opéré.
Après une nuit difficile, nous arrivons au large des îles Feroë ; la mer s’est un peu calmée ainsi que mon état nauséeux.

L’heure du rendez-vous est arrivée et j’assiste avec une certaine émotion à l’émergence du sous-marin. Les conditions de mer et l’état stable du patient nous font opter pour l’hypothèse de l’intervention à bord de la frégate. L’hélitreuillage s’effectue dans de bonnes conditions et c’est avec plaisir que nous accueillons notre camarade. L’infirmerie du bord étant trop exiguë, c’est un coin du carré des officiers subalternes qui servira de bloc opératoire ! (La table étant placée perpendiculairement à l’axe du navire, because roulis…).

L’intervention se déroule sans problème et se termine à temps pour que le repas du soir se déroule dans les conditions habituelles… Champagne en sus !

Les suites opératoires immédiates furent normales et le réveil rapide.

Le retour vers Brest est parfois contrarié par une visibilité très faible survenant dans un secteur à fort trafic commercial (mer du Nord, Pas-de-Calais et Manche). C’est avec soulagement que nous arrivons à quai et que nous hospitalisons notre camarade à l’hôpital maritime où il ne restera que quelques jours.

Cette aventure hors du commun m’a inspiré plusieurs réflexions :
  • il s’agit vraisemblablement de l’appendicectomie la plus chère du siècle ;
  • elle met en lumière à quel point le Service de Santé des Armées mérite son nom (une équipe chirurgicale comprenant un médecin d’origine Métro, un réanimateur d’origine Air opérant, un médecin de Marine à bord d’une frégate de la Royale) ;
  • la délicatesse des sous-mariniers de la Bofost qui pour me remercier m’ont permis d’effectuer une plongée de trois jours à bord du S.N.L.E. que nous étions allés secourir.
Plusieurs années plus tard, alors que j’étais chirurgien à l’hôpital Desgenettes de Lyon, un des médecins réanimateurs du Service n’était autre que le confrère que j’avais opéré en mer.

MC (R) J.N LÉVÈQUE

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