L'ORDRE DE LA LIBERATION
Dans notre monde actuel, ponctué de difficultés et
d’épreuves successives de nature très différentes,
l’histoire ne cesse de nous rattraper par un éternel
recommencement au risque même de nous faire
croire que nous ne retenons pas les leçons. Il n’en
demeure pas moins que des valeurs existentielles
sont présentes, qu’elles sont là pour nous guider et
surtout nous rappeler que sans idéal nous ne pouvons
avancer, faire progresser les choses. Des hommes les
possèdent et se sont retrouvés portés naturellement
par l’histoire. La création de l’ordre de la Libération
en 1940 n’a que matérialisé ces valeurs qui guident
surtout les hommes mais plus encore les groupes
dont les liens se resserrent dans les difficultés de
l’histoire. Le Service de santé des armées n’est pas
exclu de ces vertus parce qu’il convient de rappeler
qu’il traite de l’homme, qu’il traite l’homme et surtout
qu’il oeuvre systématiquement en équipe et en groupe
d’individualités complémentaires. Le Service de santé
des armées s’est vu ainsi récompensé en attribuant
des noms de personnages à des promotions entières
de médecins dans ses écoles de formations. Ces
compagnons de la Libération ne sont pas là par hasard
car ils ont su à leurs époques cultiver des notions qui
doivent encore nous guider dans les épreuves mais
aussi dans notre labeur quotidien. Tous les points forts
de leurs personnalités, de leurs savoir-faire peuvent se
résumer dans le goût de l’effort et dans leur croyance
à la force du groupe, afin de faire changer les choses,
comme un idéal à suivre et à modifier le cours de
l’histoire.
Le contexte historique
Il est rassurant et indéniable de croire que nous
possédons tous les prémices de ces valeurs car
nos anciens nous les ont probablement enseignées
consciemment ou inconsciemment au travers de leurs
retours d’expérience. Notre secret espoir est de les
posséder pour qu’elles puissent au minimum nous
guider dans notre quotidien. Certains de nos anciens
ont pu les mettre en application au cours de l’histoire,
et ont su les sublimer au cours de la seconde guerre
mondiale qui restera une période sombre de la France
avec ses défaites mais aussi une période glorieuse
pour ses victoires. Il est donc indispensable de faire
un succinct rappel historique de cette période afin de
comprendre la création de l’ordre de la Libération.
Répondant à l’invasion de la Pologne par les troupes
hitlériennes, l’Angleterre, puis la France, déclarent la
guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. S’ensuit
la « Drôle de Guerre » à laquelle met fin l’offensive
allemande vers l’ouest du 10 mai 1940. Quinze jours
plus tard, la Belgique capitule et, dès le 6 juin, les
lignes de défense franco-britanniques sont enfoncées.
Le 14 juin, les forces du Reich entrent dans Paris. Le
16 juin 1940, le président du conseil, Paul Reynaud,
démissionne et est remplacé par le maréchal Pétain. Le
même jour, le général de Gaulle, alors sous-secrétaire
d’état à la Défense nationale et à la Guerre depuis le
5 juin, décide de rejoindre l’Angleterre. Accompagné
seulement de son aide de camp, Geoffroy de Courcel,
Charles de Gaulle parvient à Londres au matin du
17 juin. « Devant le vide effrayant du renoncement
général, je sentis que c’était à moi d’assumer la
France » écrira par la suite celui dont cette volonté
d’assumer la France a permis l’unité de la Résistance.
La France a subi un désastre sans précédent et, le
18 juin 1940, tout est réuni pour que les Français
se croient les victimes d’une irrémédiable défaite :
l’armée en déroute, le territoire envahi, les institutions
de la République sont sur le point d’éclater, les
richesses naturelles détruites et des centaines de
milliers de prisonniers entre les mains de l’ennemi…
Dans la douceur du printemps 1940, les routes de
France sont engorgées dans un chaos indescriptible
par un cinquième de la population française qui fuit
l’avancée allemande. C’est une nation qui s’effondre
avec ses armées et son parlement, ses traditions et ses
grands hommes. Tel est le bilan d’une catastrophe sans
précédent dans l’histoire nationale. Pour beaucoup,
c’est aussi l’heure amère de la tentation du repli sur
soi et pour d’autres, dont le pouvoir était né de la
défaite, c’est l’heure de la sollicitation des bonnes
grâces du vainqueur.
C’est pourtant à ce même moment que la voix
solitaire du général de Gaulle s’élève, qui montre aux
Français la promesse de chances encore intactes et les
encourage à demeurer dans la bataille pour la liberté.
L’appel du 18 juin, qui vise à obtenir le ralliement de
toutes les valeurs et de toutes les énergies françaises
portées en lui, annonce la création de l’ordre de la
Libération. C’est un cri de foi dans l’avenir, jailli des
profondeurs de l’âme de la France pour former une
élite aux fins de libérer le territoire dans l’honneur
et par la victoire. Le ralliement de la majeure partie
de l’Afrique équatoriale française et du Cameroun fin
août 1940, l’échec devant Dakar le mois suivant et
la reprise des combats pour la conquête du Gabon
conduisent le chef de la France libre à envisager de
créer un insigne nouveau, une récompense spéciale
destinée à ceux qui auraient travaillé d’une façon
particulièrement remarquable à la libération de la
France et de l’Empire français.
La création de l’ordre de la libération
En 1940, la principale raison de la création d’une
nouvelle distinction par le général de Gaulle réside
alors dans les circonstances particulières dans
lesquelles se situe l’action. Il s’agit en effet de
récompenser d’une manière tout à fait originale le
dévouement de certains de ceux qui si peu nombreux
au départ (ils ne sont guère plus de 2 500 le 14 juillet
1940) ont finalement accepté de tout risquer pour
participer à une aventure dont on ignorait en 1940
quel serait son aboutissement.
En octobre 1940, à Douala, au Cameroun, le
général de Gaulle, après avoir fait part au capitaine
de vaisseau Thierry d’Argenlieu de ses intentions
politiques pour organiser les territoires de l’Empire
ralliés, ajoute : « Notre entreprise est hérissée de
difficultés. Les Français seront lents à nous rallier…
Je suis décidé à créer un insigne nouveau face à
l’imprévisible conjoncture. Il récompensera ceux
des nôtres qui se seront signalés dans cette haute
et âpre campagne pour la libération de la France ».
Comme le chef des Français libres ne peut décerner
la Légion d’honneur, il faut donc créer une décoration
originale pour récompenser les mérites exceptionnels
manifestés dans une conjoncture elle-même
exceptionnelle. Cette décision du général de Gaulle se
réalise très rapidement : le 16 novembre 1940, il signe
à Brazzaville, capitale de la France libre naissante,
l’ordonnance n° 7, créant l’Ordre de la Libération. Elle
paraîtra dans le n° 2 du journal officiel de la France
libre, du 20 janvier 1941.
Ordonnance n° 7 créant l’Ordre de la Libération
Au nom du Peuple et de l’Empire Français, Nous,
Général de Gaulle, Chef des Français Libres,
Vu notre Ordonnance n° 1, du 27 octobre 1940,
organisant les pouvoirs publics durant la guerre
et instituant un Conseil de Défense de l’Empire.
Vu notre Ordonnance n° 5, du 12 novembre 1940,
précisant les conditions dans lesquelles seront
prises les décisions du Chef des Français Libres ;
Ordonnons :
Art. 1 - Il est créé un Ordre dit « Ordre de la
Libération » dont les membres porteront le titre
de « Compagnons de la Libération »
Cet ordre est destiné à récompenser les
personnes ou les collectivités militaires et civiles
qui se seront signalées dans l’oeuvre de la
libération de la France et de son Empire.
Art. 2 - L’insigne unique de cet Ordre est la Croix
de la Libération.
Art. 3 - L’admission dans l’Ordre de la Libération
est prononcée par le Chef des Français Libres.
Art. 4 - Les modalités d’application de la présente
Ordonnance seront réglées par décret.
Art. 5 - La présente Ordonnance sera promulguée
au Journal Officiel de la France Libre et,
provisoirement, au Journal Officiel de l’Afrique
Équatoriale Française.
Fait à Brazzaville, le 16 novembre 1940
C. DE GAULLE
La rapidité avec laquelle cet ordre original est créé
montre à quel point il est lié, dès le début, à l’histoire
de la France libre. Il prouve aussi l’importance que
le Général accordera à cet ordre de chevalerie. Les
premiers projets proposaient la création d’un « ordre
de la libération » dont les membres devront s’appeler
les « croisés de la libération ». Cette appellation de
« croisés » témoigne parfaitement de l’idée qui était à
l’origine de l’ordre : celle d’une nouvelle chevalerie,
regroupant comme au Moyen-Âge, les serviteurs d’une
cause et d’un idéal, presque religieux. Le terme de
compagnons s’imposera afin de faire valoir cette idée
d’identité de groupe et d’idéal commun.
Par les circonstances de sa création, il se rapproche
également de l’ordre de Saint-Michel, créé en
1469, par Louis XI. Celui-ci, combattant le duc de
Bourgogne, Charles Le Téméraire, décida de créer
cet ordre, afin d’encourager ses vaisseaux à rejoindre
sa bannière. Les spécialistes de la chevalerie ne
manquèrent pas de souligner ces points communs,
puisque le collier du Grand Maître de l’ordre de la
Libération s’inspire, dans sa réalisation artistique, du
collier de l’ordre de Saint-Michel.
L’ordre de la libération et sa croix
Deuxième ordre national français après la Légion
d’honneur, l’ordre de la Libération ainsi institué
deviendra réalité avec les premiers compagnons
nommés. Dès le 29 janvier 1941, ils sont cinq,
formant le premier conseil de l’ordre : le capitaine de
vaisseau Thierry d’Argenlieu, le gouverneur général
Félix Eboué, le lieutenant Emmanuel d’Harcourt,
Edmond Popieul, officier de marine marchande et
Henry Bouquinard, adjudant dans les forces aériennes
françaises libres.
La croix de la Libération
L’ordre ne comporte qu’un seul grade. Ses titulaires
ont droit au titre de compagnon de la Libération. Le
général de Gaulle, fondateur de l’ordre en restera le
seul Grand Maître. L’insigne de l’ordre, la croix de la
Libération, est conçu alors que les textes définitifs
de l’ordonnance sont en cours de rédaction. Ses
caractéristiques sont fixées par le décret du 29 janvier
1941 qui règle l’organisation de l’ordre. Celui-ci ne
comportant qu’un seul et unique grade, il n’y a qu’un
seul type de croix de la Libération. Elle se porte sur la
poitrine, à gauche, juste après la Légion d’honneur et
avant la Médaille militaire.
La croix est très sobre. C’est un écu de bronze poli
rectangulaire de 33 mm de haut sur 30 mm de large,
portant un glaive de 60 mm de haut sur 7 mm de
large, dépassant en haut et en bas, surchargé d’une
croix de Lorraine noire. Il y eut cependant des modèles
de croix de la Libération sensiblement différents.
Les couleurs du ruban ont été choisies de façon
symbolique : le noir, exprimant le deuil de la France
opprimée par les envahisseurs, le vert, exprimant
l’espérance de la Patrie. Il y eut deux modèles
de ruban, le premier, à bandes noires placées en
diagonale, à l’anglaise, fut décerné jusqu’en aoûtseptembre
1942. Il fut remplacé ensuite par le ruban
définitif à bandes verticales.
Au revers de l’écu, est inscrite en exergue la devise
« PATRIAM SERVANDO – VICTORIAM TULIT » (« En
servant la Patrie, il a remporté la Victoire »). Les
premières croix furent fabriquées par la maison
John Pinches à Londres. Depuis la libération, leur
réalisation est assurée par la Monnaie de Paris.
Les critères d’admission dans l’ordre
L’article 1er de l’ordonnance de novembre 1940
précise que « cet ordre est destiné à récompenser les
personnes ou les collectivités militaires et civiles qui
se seront signalées dans l’oeuvre de la libération de la
France et de son Empire ».
Aucun critère d’âge, de sexe, de grade, d’origine et
même de nationalité, n’est exigé. C’est la valeur
qui compte et la qualité exceptionnelle des services
rendus, qui ne sont pas exclusivement des services
combattants. Un moine, un Guyanais, un noble,
un officier de marine, un médecin, un pharmacien,
un sous-officier, tous sont représentatifs de ces
combattants rassemblés par le général de Gaulle
sans distinction de classe et d’origine, pour libérer la
France.
Une note manuscrite du général de Gaulle pour le
conseil de l’ordre datée du 3 décembre 1945 atteste du
caractère exceptionnel de l’attribution de la croix de
la Libération. Ainsi le général écrit : « on me propose
des candidats qui, bien que très dignes et vaillants
combattants, ne répondent pas aux conditions tout
à fait exceptionnelles qui justifient l’accession dans
l’ordre ». C’est pourquoi seules 1036 personnes, 5
communes et 18 unités combattantes se sont vues
attribuer cette prestigieuse décoration entre janvier
1941 et janvier 1946.
Quelques membres de droit ont été nommés dans
l’ordre. Il s’agit des membres du conseil de Défense de
l’Empire, institué le 27 octobre 1940 à Brazzaville. Le
conseil de Défense de l’Empire, chargé d’assister dans
sa tâche le chef des Français libres, est composé de
l’amiral Muselier, des généraux Catroux et Larminat,
du colonel Leclerc, des gouverneurs Eboué et Sautot,
du médecin général Sicé, du professeur Cassin et du
capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu.
Les nominations dans l’ordre de la Libération
jalonnent la grande épopée de la Résistance et de la
France libre au cours de ces longues et dures années
de guerre. Elles interviennent par décret, soit par une
décision directe du chef des Français libres, soit au
moyen d’un mémoire de proposition qui, remontant
par la voie hiérarchique, pour être soumises à l’avis du
conseil de l’ordre de la Libération, avant signature par
le général de Gaulle. Jusqu’à la fin de l’année 1944,
les conditions d’attribution de la croix de la Libération
sont soumises à la conjoncture particulière de
l’occupation et de la clandestinité. Ainsi, la décoration
est très souvent décernée sous pseudonyme ou identité
de guerre. C’est le cas pour Jean Moulin, par exemple,
qui est fait compagnon de la Libération le 17 octobre
1942, sous le nom de « Caporal Mercier ».
Le général de Gaulle remettant la croix de la Libération au chef de
bataillon Henri Amiel (Beyrouth, 1942) avec les paroles officielles
« Nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la
libération de la France dans l’honneur et par la victoire »
En quittant le pouvoir en janvier 1946, le général de
Gaulle signe un décret qui met fin à l’attribution de
la croix de la Libération (décret du 23 janvier 1946).
Le but de la libération étant atteint, l’ordre est alors
forclos. Il ne sera réouvert par son Grand Maître qu’en
deux occasions exceptionnelles, en 1958 pour Winston
Churchill et en 1960 pour le roi d’Angleterre George VI
à titre posthume.
Les compagnons de la libération
Des hommes et des femmes remarquables
Lorsque le 23 janvier 1946 est signé le décret de
forclusion de l’ordre de la Libération, le nombre
des compagnons de la Libération s’élève à 1 036
personnes auxquelles il faut ajouter cinq communes
françaises et dix-huit unités combattantes. Parmi
ces 1 036 compagnons, 271 ont été nommés à titre
posthume et 65, déjà compagnons, sont morts au
combat ou en service commandé avant la fin de la
guerre. Leur nombre passera définitivement à 1 038
en 1958. Un peu plus de 700 d’entre eux ont survécu
à la guerre. Presque les trois-quarts des compagnons
de la Libération sont issus des rangs de la France libre
et un quart des rangs de la Résistance intérieure. Il
faut souligner la variété extrême des compagnons
tant sur le plan social que religieux ou politique.
On trouve parmi les compagnons de la Libération
des étudiants, des militaires, des ingénieurs, des
paysans, des industriels, des hommes de lettres, des
diplomates, des ouvriers, des membres du clergé,
des tirailleurs africains, des magistrats, des officiers
du corps technique et administratif et des médecins.
Bien sûr, il y a dans l’ordre une proportion importante
de militaires. 750 compagnons portaient l’uniforme
au moment où la croix de la Libération leur a été
attribuée. Pour une part, il s’agit de militaires d’active
mais surtout de réservistes et d’engagés volontaires.
On compte au nombre des compagnons de la
Libération 587 officiers (dont 23 officiers généraux),
127 sous-officiers et 45 militaires du rang.
Six femmes seulement ont reçu la croix de la
Libération et méritent d’être citées : Berty Albrecht,
cofondatrice du mouvement Combat, morte à la
prison de Fresnes en 1943, Laure Diebold, agent de
liaison du réseau Mithridate et secrétaire de Jean
Moulin, déportée, Marie Hackin, chargée de mission
avec son mari, disparue en mer en février 1941,
Marcelle Henry du réseau d’évasion Vic, morte à son
retour de déportation, Simone Michel-Lévy, de la
résistance P.T.T. est morte en déportation, Émilienne
Moreau-Evrard, héroïne de la guerre 1914-18, agent
du réseau Brutus puis membre de l’assemblée
consultative provisoire. Plus de 10 % des compagnons
de la Libération n’ont pas 20 ans au moment de la
déclaration de guerre de septembre 1939. Parmi ceux
qui ont fait le sacrifice de leur vie on peut citer : Henri
Fertet, du corps-franc « Guy Mocquet », condamné
à mort par un tribunal militaire allemand et fusillé à
l’âge de 16 ans, à Besançon, le 26 septembre 1943 –
Pierre Ruibet qui, à 18 ans, alors qu’il sabote le dépôt
de munitions allemand de Jonzac est découvert et
préfère sauter avec plutôt que de devoir renoncer.
Et David Régnier, du mouvement « Défense de la
France », blessé dans les combats de Ronquerolles
en juin 1944, pris les armes à la main et fusillé par
les Allemands à l’âge de 18 ans. Le décret du 29
janvier 1941 prévoyait que les étrangers ayant rendu
des services importants à la cause de la France
libre pourraient recevoir la croix de la Libération
et seraient considérés comme membres de l’ordre.
Au total, 72 étrangers (ou français nés à l’étranger),
représentant 25 nationalités différentes, ont été
faits compagnon de la Libération. Des officiers du
Service de santé étrangers font partie de ces rangs
avec des compagnons plus célèbres : Le général
Dwight Eisenhower – compagnon du 28 mai 1945,
Sa Majesté Mohammed Ben Youssef (Mohammed V)
– compagnon du 29 juin 1945, Sir Winston Churchill –
compagnon du 18 juin 1958, Sa Majesté George VI, roi
d’Angleterre – compagnon du 2 avril 1960.
Le point commun de tous les compagnons qui fait
bien entendu la caractéristique remarquable de leur
parcours est celui du goût de l’effort qui portera les
plus chanceux après la guerre à occuper logiquement
des postes de hautes responsabilités, aussi bien dans
la vie civile, qu’au sein des armées. Vingt d’entre
eux ont notamment occupé des responsabilités
ministérielles. On peut ainsi citer cinq anciens
présidents du conseil ou premiers ministres : René
Pleven, Maurice Bourgès-Maunoury, Georges Bidault,
Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer et des
hommes politiques comme Alexandre Parodi, Jean
Sainteny, Michel Maurice-Bokanowski, André
Boulloche, Maurice Schumann, Pierre-Henri Teitgen,
Robert Galley, André Jarrot, Maurice Jourdan,
Christian Pineau, Alain Savary ou Jacques Baumel.
Au total, l’ordre de la Libération a compté dans
ses rangs 36 ministres, 71 députés, 13 sénateurs et
34 maires. En ce qui concerne l’armée, on compte
plus de 80 officiers généraux ou amiraux et trois
maréchaux (Philippe Leclerc de Hauteclocque,
Jean-Marie de Lattre de Tassigny et Pierre-Marie
Koenig). Des compagnons de la Libération ont
servi le pays dans la diplomatie, tels Geoffroy de
Courcel, Dominique Ponchardier, Gaston Palewski, ou
Emmanuel d’Harcourt. Le clergé est aussi représenté
par le cardinal Jules Saliège, ancien archevêque de
Toulouse, le père Starcky, le pasteur Michel Stahl ou
le père Savey. On compte au total 15 ecclésiastiques
dans l’ordre de la Libération. L’ordre compte aussi
des ingénieurs, comme Louis Armand, membre de
l’Institut, de grands juristes comme René Cassin (Prix
Nobel de la Paix en 1968) ou encore 36 médecins
parmi lesquels de grands professeurs comme José
Aboulker ou François Jacob (Prix Nobel de Physiologie
en 1965). Egalement de grands industriels et
d’importants chefs d’entreprises parmi lesquels on
peut citer, Jacques Ballet, Pierre Louis-Dreyfus, Pierre
de Bénouville, Jean Rosenthal, Roland de la Poype,
François Sommer ou Jacques Maillet. Citons aussi des
compagnons connus pour leurs activités littéraires :
Roamin Gary, André Malraux, Gilbert Renault, plus
connu sous le nom de Rémy, et Winston Churchill
(Prix Nobel de Littérature en 1953). Enfin, quatre
compagnons de la Libération reposent au Panthéon :
Félix Eboué, Jean Moulin, René Cassin et André
Malraux. Alors qu’en 1989, y était gravé également le
nom du général de Lestraint.
Des collectivités récompensées
L’originalité de l’ordre de la Libération est de pouvoir
mettre aussi à l’honneur des collectivités. En effet
l’ordonnance n° 7 créant l’ordre de la Libération
précise que celui-ci est
« destiné à récompenser
les personnes ou les
collectivités militaires
et civiles qui se seront
signalées dans l’oeuvre
de la libération de la France et de son Empire ». Ainsi,
le général de Gaulle, au titre des collectivités civiles,
attribuera la croix de la Libération à cinq communes
françaises : NANTES, GRENOBLE, PARIS, VASSIEUX
EN VERCORS et L’ÎLE DE SEIN.
Ainsi la croix de la Libération sera attribuée à 18
unités des Forces françaises libres :
Armée de terre
Bataillon de marche n° 2
13e Demi-brigade de la Légion étrangère
Bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique
Régiment de marche du Tchad
2e Régiment d’infanterie coloniale
1er Régiment d’artillerie coloniale
1/3e Régiment d’artillerie coloniale
1er Régiment de marche de spahis marocains
501e Régiment de chars de combat
Armée de l’air
L’Escadrille française de chasse n° 1
Régiment de chasse Normandie-Niemen
2e Régiment de chasseurs parachutistes de l’armée de l’air
Groupe de bombardement Lorraine
Groupe de chasse Île-de-France
Groupe de chasse Alsace
Marine
Sous-marin Rubis
Corvette Aconit
1er Régiment de fusiliers marins
Les officiers du service de santé compagnons de la libération
Des officiers du Service de santé des armées au
service des hommes et de la nation.
Lors de cette deuxième guerre mondiale, bon nombre
d’officiers de tous les horizons ont contribué par
leur engagement à délivrer le territoire national et
son empire de l’occupant. 1038 compagnons de la
Libération se sont vus remettre cette haute distinction
afin de les féliciter d’un certain courage, pour avoir
répondu à l’aide de la France, en mettant en oeuvre
des compétences dans leur domaine tout en étant
capables de les sublimer au-delà de leur formation
initiale.
Certains n’auront pas hésité à prendre des
responsabilités de commandement au combat ou se
redresser immédiatement après des blessures. Parmi
ces hommes et femmes 32 sont des officiers issus
des rangs du Service de santé avec des parcours
particulièrement remarquables et hors du commun.
Il se devait aussi de les mettre à l’honneur par cette
distinction, même si d’autres sont probablement
restés dans l’anonymat ou ont travaillé dans l’ombre.
Certains sont encore en vie à ce jour et continuent
de briller à l’instar de François Jacob, médecin, prix
Nobel de médecine en 1965 et actuel chancelier de
l’ordre de la Libération. Parmi ces 32 noms figurent :
26 médecins
BÉON Raoul (1911-1943)
BRUNEL André (1912-1981)
CHAULIAC Guy (1912-2005)
CHARMOT Guy (1914)
CHAVENON Guy (1911-1973)
COUPIGNY Jean-Marie (1912-1981)
DIAGNE Adolphe (1907-1995)
FRUCHAUD Henri (1894-1960)
GENET André (1914-1945)
GILLOT Xavier (1909-1996)
GUENON Paul (1911-1946)
GUILLON Paul (1913-1965)
HERVÉ Yves (1909-1944)
JACOB François (1920)
KREMENTCHOUSKY Alexandre (1905-1979)
LICHTWITZ André (1899-1962)
LAQUINTINIE Jean (1909-1941)
MAURIC Charles (1909-1990)
MONFORT Henri (1909-1984)
ORSINI Marcel (1911-1999)
REILINGER Alfred (1900-1968)
SICE Adolphe (1885-1957)
THIBAUX Pol (1914-1963)
VERNIER Jean-Frédéric (1905-1980)
VIALARD GOUDOU Jean (1902-1970)
VIGNES Charles (1905-1951)
1 pharmacien
MENESTREY Jacques (1914-1997)
2 dentistes
PROCHASSON Maurice (1901-1964)
SASSOON Philippe (1913-1983)
1 officier corps administratif
AMIOT René (1914-1985)
1 ambulancier (nationalité américaine)
HASEY John (1916-2005)
1 brancardier (nationalité américaine)
WORDEN James Avery (1912-2004)
Un certain nombre de ces officiers sont morts au
combat et mériteraient tous de raconter leurs parcours
qui brillent par leur exemplarité. Ils auront tous
sans exception suivi et accompagné les troupes des
Forces françaises libres (FFL) entre 1940 et 1945. Ils
auront participé ainsi à des campagnes multiples et
célèbres. Raoul Béon tombera le 11 mai 1945 pendant
la campagne de Tunisie à Takrouna. Nommé médecin
chef de l’hôpital d’Abomey au Dahomey en avril
1938, il refusera l’armistice et passera au Nigéria
puis se rendra au Tchad pour rejoindre les Forces
Libres à Fort Lamy. Il sera affecté au bataillon de
Marche n° 3 et prendra part à la campagne d’Erythrée
avant de combattre durant les campagnes de Syrie,
de la Palestine et de Lybie. Il réalisera un travail
remarquable dans la prise en charge des blessés de
Bir-Hakeim. Il poursuivra encore ses activités en
poste de secours au plus près des combattants dans la
campagne de Tunisie qui lui sera fatale. Pol Thibaux
avait quant à lui débuté un parcours encore plus
précoce avec une scolarité au Prytanée Militaire de
la Flèche avant de s’engager à l’École de santé de
Lyon en 1933. Affecté comme médecin lieutenant au
régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad en 1940, il
rejoindra les FFL participant ainsi à la prise du Gabon.
Il participera aussi à la campagne d’Erythrée en 1941
où il sera cité à l’ordre de la brigade française d’Orient
en opérant sous le feu alors chargé de la direction d’un
service chirurgical avancé. Une deuxième citation à
l’ordre de l’armée le distinguera pendant la campagne
de Lybie et une troisième pendant les combats en
Tunisie pour sauver de nombreux blessés dans des
conditions périlleuses et pénibles. Le parcours d’André
Lichtwitz est encore plus caractéristique de ce goût
de l’effort. OEuvrant dans un premier temps comme
réserviste en 1939 il demandera à servir au front
comme médecin chef du 85e RI s’illustrant pendant
les attaques allemandes dans l’Aisne. Il prendra alors
spontanément le commandement d’une compagnie
dont les cadres sont hors de combat, lui faisant
tenir pendant 8 heures sur le front avant de recevoir
l’ordre de se replier. Démobilisé ensuite au moment
de l’armistice il constituera un des tous premiers
mouvements de résistance. Il rejoindra ensuite les FFL
et le hasard le mènera au chevet du général de Gaulle
pour une crise de paludisme. Il combattra en Lybie
en prenant le commandement de groupes d’assaut
et sera nommé ensuite médecin chef à la 13e demi
brigade de Légion étrangère en 1942. Combattant
en Tunisie, puis en Italie il sera une première fois
blessé en 1944 par des éclats d’obus, poursuivra ses
exploits avant d’être 3 fois successivement touché. Il
participera au débarquement en Provence et toujours
comme médecin lieutenant se fera remarquer pendant
la campagne d’Alsace dans des groupes d’assaut. À
la fin de la guerre il sera envoyé par le gouvernement
provisoire aux États Unis pour une mission
d’information médicale. À son retour il fondera le
centre du métabolisme phosphocalcique à l’hôpital
Lariboisière et restera le médecin personnel du général
de Gaulle.
Des officiers du Service de santé compagnons et
parrains de promotions
Si l’on s’intéresse aux parcours de formation de ces 32
compagnons, il ne paraît pas surprenant de découvrir
que 21 d’entre eux ont été formés dans les écoles
de formation des praticiens du Service de santé des
armées. Cette majorité des effectifs est le témoin de
la rigueur et des valeurs qui sont véhiculées dans ces
écoles depuis leurs créations. Même si les anciennes
écoles de Brest, Rochefort, Toulon, Strasbourg,
Bordeaux et Lyon ont disparues, l’École de santé des
armées actuelle à Bron continue de faire valoir leurs
patrimoines historiques. L’enseignement, l’instruction
militaire et l’accompagnement universitaire délivrés
continuent de mettre en avant des valeurs qui font
aujourd’hui la force des personnels. Actuellement
projetés sur les théâtres plus modernes d’opérations
extérieures tels que l’Afghanistan ou le Liban,
ces hommes et femmes ainsi formés prouvent au
quotidien avec leurs infirmiers leurs compétences de
sauvetage et de secours aux combattants parfois dans
des conditions difficiles mais malheureusement aussi
au péril de leur vie. Animés probablement des mêmes
valeurs que ces compagnons il est fort à espérer que
l’histoire se souvienne aussi de leurs noms au même
titre que leurs anciens. Volontairement la liste qui suit
a réparti ces 21 compagnons sous l’appellation des
deux anciennes écoles :
École principale du Service de santé de la marine
BÉON Raoul : promotion 1932
CHAULIAC Guy : promotion 1932
CHAVENON Guy : promotion 1932
COUPIGNY Jean-Marie : promotion 1935
DIAGNE Adolphe : promotion 1927
GILLOT Xavier : promotion 1930
GUILLON Paul : promotion 1932
HERVÉ Yves : promotion 1930
MAURIC Charles : promotion 1930
ORSINI Marcel : promotion 1930
SICE Adolphe : promotion 1907
VERNIER Jean-Frédéric : promotion 1924
VIALARD GOUDOU Jean : promotion 1922
VIGNES Charles : promotion 1927
École de Santé militaire
BRUNEL André : promotion 1930
CHARMOT Guy : promotion 1934
GUENON Paul : promotion 1932
LAQUINTINIE Jean : promotion 1929
MONFORT Henri : promotion 1933
REILINGER Alfred : promotion 1919
THIBAUX Pol : promotion 1933
À l’heure où des modifications structurelles affectent
le Service de santé des armées qui ne peuvent
qu’ébranler les convictions de ses personnels et
surtout celles des plus jeunes, il paraît indispensable
de rappeler à leurs mémoires qu’il a toujours existé
d’une part des moments plus difficiles, et que d’autre
part les valeurs humaines ont toujours réussi à
surmonter les difficultés. Dans ce cadre les parrains de
promotion des médecins, pharmaciens et officiers du
corps technique et administratif sont bien un moyen
de fédérer les groupes autour de ces valeurs et idéaux.
Les promotions ainsi exaltées sont fières de pouvoir
s’honorer d’un parrain de promotion compagnon de
la Libération. 6 de ces officiers du Service de santé des
armées compagnons de la Libération ont ainsi offert
leur nom à des promotions d’élèves de l’École de santé
des armées. Ils sont classés par ordre chronologique
avec les appellations des écoles de l’époque :
- HERVÉ Yves : Parrain de la promotion 1947 (École
principale du Service de santé de la marine)
- BÉON Raoul : Parrain de la promotion 1949 (École
principale du Service de santé de la marine)
- SICE Adolphe : Parrain de la promotion 1959 (École
principale du Service de santé de la marine)
- LAQUINTINIE Jean : Parrain de la promotion 1989
(École du Service de santé des armées de Lyon)
- VIALARD GOUDOU Jean : Parrain de la promotion
2005 (École du Service de santé des armées de
Bordeaux)
- GUENON Paul : Parrain de la promotion 2008 (École
du Service de santé des armées de Lyon)
Enfin en 2009, l’École du Service de santé des armées
de Bordeaux a baptisé son avant-dernière promotion
(2007) sous le patronyme « Médecins compagnons de
la Libération ».
Dans un monde bousculé, où la crise chahute
toutes les institutions, où les valeurs de référence
semblent explosées, il apparaît comme primordial
de se rappeler l’histoire qui ne cesse de se répéter.
Dans cette histoire des valeurs sont perceptibles et
identifiables, ce sont celles d’un certain idéal et du
goût de l’effort qui semblent animer le comportement
de certains personnages devenus malgré eux
historiquement connus ou considérés comme
héroïques. Le Service de santé n’y a logiquement pas
échappé. Ses officiers n’exercent sûrement pas par
hasard dans ses rangs et répondent à des exigences
de compétences parfois difficiles à mettre en oeuvre.
Animés d’une telle foi, et doté d’un goût de l’effort,
ils se révéleront probablement comme leurs anciens
dans des valeurs et des domaines nouveaux. Les
compagnons de la Libération avec leurs parcours
hors du commun sont là pour nous le rappeler. Il
paraît donc d’une part indispensable de poursuivre
cette démarche de mémoire au travers des parrains
de promotions pour sublimer cet idéal et façonner
les vocations des plus jeunes. Mais d’autre part les
parcours de ces compagnons nous rappellent aussi la
nécessité absolue d’associer à la formation médicale
universitaire, une formation médicale adaptée aux
armées ainsi qu’une instruction militaire de qualité
afin de construire les compétences polyvalentes
qu’exige l’exercice rigoureux des métiers du Service
de santé. Mais au-delà, de ces parcours d’officiers
il ne faudra jamais oublier que ce qui fait la force
de ce service au service des hommes et des armées,
c’est le travail en équipe qui constitue la clé de voûte
de sa réussite. Et dans ce domaine la réussite de
tels parcours ne pourra se réaliser sans l’efficacité
remarquable des sous officiers du Service de santé
sans qui la mission ne pourrait être menée à bien.
Et dans ce cadre le binôme sanitaire du médecin et
de l’infirmier restera indissociable pour continuer à
soutenir les forces armées.
Médecin en chef Gilles Wendling,
Chef du département de la formation initiale spécialisée
École du Val-de-Grâce
Médecin en chef Pierre Éric Schwartzbrod
CMA Besançon
Chirurgien-dentiste Thibaut Bila
CMA Besançon