L'ORDRE DE LA LIBERATION


Dans notre monde actuel, ponctué de difficultés et d’épreuves successives de nature très différentes, l’histoire ne cesse de nous rattraper par un éternel recommencement au risque même de nous faire croire que nous ne retenons pas les leçons. Il n’en demeure pas moins que des valeurs existentielles sont présentes, qu’elles sont là pour nous guider et surtout nous rappeler que sans idéal nous ne pouvons avancer, faire progresser les choses. Des hommes les possèdent et se sont retrouvés portés naturellement par l’histoire. La création de l’ordre de la Libération en 1940 n’a que matérialisé ces valeurs qui guident surtout les hommes mais plus encore les groupes dont les liens se resserrent dans les difficultés de l’histoire. Le Service de santé des armées n’est pas exclu de ces vertus parce qu’il convient de rappeler qu’il traite de l’homme, qu’il traite l’homme et surtout qu’il oeuvre systématiquement en équipe et en groupe d’individualités complémentaires. Le Service de santé des armées s’est vu ainsi récompensé en attribuant des noms de personnages à des promotions entières de médecins dans ses écoles de formations. Ces compagnons de la Libération ne sont pas là par hasard car ils ont su à leurs époques cultiver des notions qui doivent encore nous guider dans les épreuves mais aussi dans notre labeur quotidien. Tous les points forts de leurs personnalités, de leurs savoir-faire peuvent se résumer dans le goût de l’effort et dans leur croyance à la force du groupe, afin de faire changer les choses, comme un idéal à suivre et à modifier le cours de l’histoire.

Le contexte historique

Il est rassurant et indéniable de croire que nous possédons tous les prémices de ces valeurs car nos anciens nous les ont probablement enseignées consciemment ou inconsciemment au travers de leurs retours d’expérience. Notre secret espoir est de les posséder pour qu’elles puissent au minimum nous guider dans notre quotidien. Certains de nos anciens ont pu les mettre en application au cours de l’histoire, et ont su les sublimer au cours de la seconde guerre mondiale qui restera une période sombre de la France avec ses défaites mais aussi une période glorieuse pour ses victoires. Il est donc indispensable de faire un succinct rappel historique de cette période afin de comprendre la création de l’ordre de la Libération.

Répondant à l’invasion de la Pologne par les troupes hitlériennes, l’Angleterre, puis la France, déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. S’ensuit la « Drôle de Guerre » à laquelle met fin l’offensive allemande vers l’ouest du 10 mai 1940. Quinze jours plus tard, la Belgique capitule et, dès le 6 juin, les lignes de défense franco-britanniques sont enfoncées.

Le 14 juin, les forces du Reich entrent dans Paris. Le 16 juin 1940, le président du conseil, Paul Reynaud, démissionne et est remplacé par le maréchal Pétain. Le même jour, le général de Gaulle, alors sous-secrétaire d’état à la Défense nationale et à la Guerre depuis le 5 juin, décide de rejoindre l’Angleterre. Accompagné seulement de son aide de camp, Geoffroy de Courcel, Charles de Gaulle parvient à Londres au matin du 17 juin. « Devant le vide effrayant du renoncement général, je sentis que c’était à moi d’assumer la France » écrira par la suite celui dont cette volonté d’assumer la France a permis l’unité de la Résistance. La France a subi un désastre sans précédent et, le 18 juin 1940, tout est réuni pour que les Français se croient les victimes d’une irrémédiable défaite : l’armée en déroute, le territoire envahi, les institutions de la République sont sur le point d’éclater, les richesses naturelles détruites et des centaines de milliers de prisonniers entre les mains de l’ennemi… Dans la douceur du printemps 1940, les routes de France sont engorgées dans un chaos indescriptible par un cinquième de la population française qui fuit l’avancée allemande. C’est une nation qui s’effondre avec ses armées et son parlement, ses traditions et ses grands hommes. Tel est le bilan d’une catastrophe sans précédent dans l’histoire nationale. Pour beaucoup, c’est aussi l’heure amère de la tentation du repli sur soi et pour d’autres, dont le pouvoir était né de la défaite, c’est l’heure de la sollicitation des bonnes grâces du vainqueur.

C’est pourtant à ce même moment que la voix solitaire du général de Gaulle s’élève, qui montre aux Français la promesse de chances encore intactes et les encourage à demeurer dans la bataille pour la liberté. L’appel du 18 juin, qui vise à obtenir le ralliement de toutes les valeurs et de toutes les énergies françaises portées en lui, annonce la création de l’ordre de la Libération. C’est un cri de foi dans l’avenir, jailli des profondeurs de l’âme de la France pour former une élite aux fins de libérer le territoire dans l’honneur et par la victoire. Le ralliement de la majeure partie de l’Afrique équatoriale française et du Cameroun fin août 1940, l’échec devant Dakar le mois suivant et la reprise des combats pour la conquête du Gabon conduisent le chef de la France libre à envisager de créer un insigne nouveau, une récompense spéciale destinée à ceux qui auraient travaillé d’une façon particulièrement remarquable à la libération de la France et de l’Empire français.

La création de l’ordre de la libération

En 1940, la principale raison de la création d’une nouvelle distinction par le général de Gaulle réside alors dans les circonstances particulières dans lesquelles se situe l’action. Il s’agit en effet de récompenser d’une manière tout à fait originale le dévouement de certains de ceux qui si peu nombreux au départ (ils ne sont guère plus de 2 500 le 14 juillet 1940) ont finalement accepté de tout risquer pour participer à une aventure dont on ignorait en 1940 quel serait son aboutissement.

En octobre 1940, à Douala, au Cameroun, le général de Gaulle, après avoir fait part au capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu de ses intentions politiques pour organiser les territoires de l’Empire ralliés, ajoute : « Notre entreprise est hérissée de difficultés. Les Français seront lents à nous rallier… Je suis décidé à créer un insigne nouveau face à l’imprévisible conjoncture. Il récompensera ceux des nôtres qui se seront signalés dans cette haute et âpre campagne pour la libération de la France ». Comme le chef des Français libres ne peut décerner la Légion d’honneur, il faut donc créer une décoration originale pour récompenser les mérites exceptionnels manifestés dans une conjoncture elle-même exceptionnelle. Cette décision du général de Gaulle se réalise très rapidement : le 16 novembre 1940, il signe à Brazzaville, capitale de la France libre naissante, l’ordonnance n° 7, créant l’Ordre de la Libération. Elle paraîtra dans le n° 2 du journal officiel de la France libre, du 20 janvier 1941.

Ordonnance n° 7 créant l’Ordre de la Libération

Au nom du Peuple et de l’Empire Français, Nous,
Général de Gaulle, Chef des Français Libres,

Vu notre Ordonnance n° 1, du 27 octobre 1940,
organisant les pouvoirs publics durant la guerre
et instituant un Conseil de Défense de l’Empire.

Vu notre Ordonnance n° 5, du 12 novembre 1940,
précisant les conditions dans lesquelles seront
prises les décisions du Chef des Français Libres ;

Ordonnons :

Art. 1 - Il est créé un Ordre dit « Ordre de la
Libération » dont les membres porteront le titre
de « Compagnons de la Libération »
Cet ordre est destiné à récompenser les
personnes ou les collectivités militaires et civiles
qui se seront signalées dans l’oeuvre de la
libération de la France et de son Empire.

Art. 2 - L’insigne unique de cet Ordre est la Croix
de la Libération.

Art. 3 - L’admission dans l’Ordre de la Libération
est prononcée par le Chef des Français Libres.

Art. 4 - Les modalités d’application de la présente
Ordonnance seront réglées par décret.

Art. 5 - La présente Ordonnance sera promulguée
au Journal Officiel de la France Libre et,
provisoirement, au Journal Officiel de l’Afrique
Équatoriale Française.

Fait à Brazzaville, le 16 novembre 1940
C. DE GAULLE

La rapidité avec laquelle cet ordre original est créé montre à quel point il est lié, dès le début, à l’histoire de la France libre. Il prouve aussi l’importance que le Général accordera à cet ordre de chevalerie. Les premiers projets proposaient la création d’un « ordre de la libération » dont les membres devront s’appeler les « croisés de la libération ». Cette appellation de « croisés » témoigne parfaitement de l’idée qui était à l’origine de l’ordre : celle d’une nouvelle chevalerie, regroupant comme au Moyen-Âge, les serviteurs d’une cause et d’un idéal, presque religieux. Le terme de compagnons s’imposera afin de faire valoir cette idée d’identité de groupe et d’idéal commun.

Par les circonstances de sa création, il se rapproche également de l’ordre de Saint-Michel, créé en 1469, par Louis XI. Celui-ci, combattant le duc de Bourgogne, Charles Le Téméraire, décida de créer cet ordre, afin d’encourager ses vaisseaux à rejoindre sa bannière. Les spécialistes de la chevalerie ne manquèrent pas de souligner ces points communs, puisque le collier du Grand Maître de l’ordre de la Libération s’inspire, dans sa réalisation artistique, du collier de l’ordre de Saint-Michel.

L’ordre de la libération et sa croix Deuxième ordre national français après la Légion d’honneur, l’ordre de la Libération ainsi institué deviendra réalité avec les premiers compagnons nommés. Dès le 29 janvier 1941, ils sont cinq, formant le premier conseil de l’ordre : le capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu, le gouverneur général Félix Eboué, le lieutenant Emmanuel d’Harcourt, Edmond Popieul, officier de marine marchande et Henry Bouquinard, adjudant dans les forces aériennes françaises libres.

La croix de la Libération

L’ordre ne comporte qu’un seul grade. Ses titulaires ont droit au titre de compagnon de la Libération. Le général de Gaulle, fondateur de l’ordre en restera le seul Grand Maître. L’insigne de l’ordre, la croix de la Libération, est conçu alors que les textes définitifs de l’ordonnance sont en cours de rédaction. Ses caractéristiques sont fixées par le décret du 29 janvier 1941 qui règle l’organisation de l’ordre. Celui-ci ne comportant qu’un seul et unique grade, il n’y a qu’un seul type de croix de la Libération. Elle se porte sur la poitrine, à gauche, juste après la Légion d’honneur et avant la Médaille militaire.

La croix est très sobre. C’est un écu de bronze poli rectangulaire de 33 mm de haut sur 30 mm de large, portant un glaive de 60 mm de haut sur 7 mm de large, dépassant en haut et en bas, surchargé d’une croix de Lorraine noire. Il y eut cependant des modèles de croix de la Libération sensiblement différents.


Les couleurs du ruban ont été choisies de façon symbolique : le noir, exprimant le deuil de la France opprimée par les envahisseurs, le vert, exprimant l’espérance de la Patrie. Il y eut deux modèles de ruban, le premier, à bandes noires placées en diagonale, à l’anglaise, fut décerné jusqu’en aoûtseptembre 1942. Il fut remplacé ensuite par le ruban définitif à bandes verticales.

Au revers de l’écu, est inscrite en exergue la devise « PATRIAM SERVANDO – VICTORIAM TULIT » (« En servant la Patrie, il a remporté la Victoire »). Les premières croix furent fabriquées par la maison John Pinches à Londres. Depuis la libération, leur réalisation est assurée par la Monnaie de Paris.

Les critères d’admission dans l’ordre

L’article 1er de l’ordonnance de novembre 1940 précise que « cet ordre est destiné à récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’oeuvre de la libération de la France et de son Empire ».

Aucun critère d’âge, de sexe, de grade, d’origine et même de nationalité, n’est exigé. C’est la valeur qui compte et la qualité exceptionnelle des services rendus, qui ne sont pas exclusivement des services combattants. Un moine, un Guyanais, un noble, un officier de marine, un médecin, un pharmacien, un sous-officier, tous sont représentatifs de ces combattants rassemblés par le général de Gaulle sans distinction de classe et d’origine, pour libérer la France.

Une note manuscrite du général de Gaulle pour le conseil de l’ordre datée du 3 décembre 1945 atteste du caractère exceptionnel de l’attribution de la croix de la Libération. Ainsi le général écrit : « on me propose des candidats qui, bien que très dignes et vaillants combattants, ne répondent pas aux conditions tout à fait exceptionnelles qui justifient l’accession dans l’ordre ». C’est pourquoi seules 1036 personnes, 5 communes et 18 unités combattantes se sont vues attribuer cette prestigieuse décoration entre janvier 1941 et janvier 1946.

Quelques membres de droit ont été nommés dans l’ordre. Il s’agit des membres du conseil de Défense de l’Empire, institué le 27 octobre 1940 à Brazzaville. Le conseil de Défense de l’Empire, chargé d’assister dans sa tâche le chef des Français libres, est composé de l’amiral Muselier, des généraux Catroux et Larminat, du colonel Leclerc, des gouverneurs Eboué et Sautot, du médecin général Sicé, du professeur Cassin et du capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu.

Les nominations dans l’ordre de la Libération jalonnent la grande épopée de la Résistance et de la France libre au cours de ces longues et dures années de guerre. Elles interviennent par décret, soit par une décision directe du chef des Français libres, soit au moyen d’un mémoire de proposition qui, remontant par la voie hiérarchique, pour être soumises à l’avis du conseil de l’ordre de la Libération, avant signature par le général de Gaulle. Jusqu’à la fin de l’année 1944, les conditions d’attribution de la croix de la Libération sont soumises à la conjoncture particulière de l’occupation et de la clandestinité. Ainsi, la décoration est très souvent décernée sous pseudonyme ou identité de guerre. C’est le cas pour Jean Moulin, par exemple, qui est fait compagnon de la Libération le 17 octobre 1942, sous le nom de « Caporal Mercier ».

Le général de Gaulle remettant la croix de la Libération au chef de bataillon Henri Amiel (Beyrouth, 1942) avec les paroles officielles « Nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la victoire » En quittant le pouvoir en janvier 1946, le général de Gaulle signe un décret qui met fin à l’attribution de la croix de la Libération (décret du 23 janvier 1946). Le but de la libération étant atteint, l’ordre est alors forclos. Il ne sera réouvert par son Grand Maître qu’en deux occasions exceptionnelles, en 1958 pour Winston Churchill et en 1960 pour le roi d’Angleterre George VI à titre posthume.

Les compagnons de la libération

Des hommes et des femmes remarquables Lorsque le 23 janvier 1946 est signé le décret de forclusion de l’ordre de la Libération, le nombre des compagnons de la Libération s’élève à 1 036 personnes auxquelles il faut ajouter cinq communes françaises et dix-huit unités combattantes. Parmi ces 1 036 compagnons, 271 ont été nommés à titre posthume et 65, déjà compagnons, sont morts au combat ou en service commandé avant la fin de la guerre. Leur nombre passera définitivement à 1 038 en 1958. Un peu plus de 700 d’entre eux ont survécu à la guerre. Presque les trois-quarts des compagnons de la Libération sont issus des rangs de la France libre et un quart des rangs de la Résistance intérieure. Il faut souligner la variété extrême des compagnons tant sur le plan social que religieux ou politique. On trouve parmi les compagnons de la Libération des étudiants, des militaires, des ingénieurs, des paysans, des industriels, des hommes de lettres, des diplomates, des ouvriers, des membres du clergé, des tirailleurs africains, des magistrats, des officiers du corps technique et administratif et des médecins. Bien sûr, il y a dans l’ordre une proportion importante de militaires. 750 compagnons portaient l’uniforme au moment où la croix de la Libération leur a été attribuée. Pour une part, il s’agit de militaires d’active mais surtout de réservistes et d’engagés volontaires. On compte au nombre des compagnons de la Libération 587 officiers (dont 23 officiers généraux), 127 sous-officiers et 45 militaires du rang.

Six femmes seulement ont reçu la croix de la Libération et méritent d’être citées : Berty Albrecht, cofondatrice du mouvement Combat, morte à la prison de Fresnes en 1943, Laure Diebold, agent de liaison du réseau Mithridate et secrétaire de Jean Moulin, déportée, Marie Hackin, chargée de mission avec son mari, disparue en mer en février 1941, Marcelle Henry du réseau d’évasion Vic, morte à son retour de déportation, Simone Michel-Lévy, de la résistance P.T.T. est morte en déportation, Émilienne Moreau-Evrard, héroïne de la guerre 1914-18, agent du réseau Brutus puis membre de l’assemblée consultative provisoire. Plus de 10 % des compagnons de la Libération n’ont pas 20 ans au moment de la déclaration de guerre de septembre 1939. Parmi ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie on peut citer : Henri Fertet, du corps-franc « Guy Mocquet », condamné à mort par un tribunal militaire allemand et fusillé à l’âge de 16 ans, à Besançon, le 26 septembre 1943 – Pierre Ruibet qui, à 18 ans, alors qu’il sabote le dépôt de munitions allemand de Jonzac est découvert et préfère sauter avec plutôt que de devoir renoncer. Et David Régnier, du mouvement « Défense de la France », blessé dans les combats de Ronquerolles en juin 1944, pris les armes à la main et fusillé par les Allemands à l’âge de 18 ans. Le décret du 29 janvier 1941 prévoyait que les étrangers ayant rendu des services importants à la cause de la France libre pourraient recevoir la croix de la Libération et seraient considérés comme membres de l’ordre. Au total, 72 étrangers (ou français nés à l’étranger), représentant 25 nationalités différentes, ont été faits compagnon de la Libération. Des officiers du Service de santé étrangers font partie de ces rangs avec des compagnons plus célèbres : Le général Dwight Eisenhower – compagnon du 28 mai 1945, Sa Majesté Mohammed Ben Youssef (Mohammed V) – compagnon du 29 juin 1945, Sir Winston Churchill – compagnon du 18 juin 1958, Sa Majesté George VI, roi d’Angleterre – compagnon du 2 avril 1960.

Le point commun de tous les compagnons qui fait bien entendu la caractéristique remarquable de leur parcours est celui du goût de l’effort qui portera les plus chanceux après la guerre à occuper logiquement des postes de hautes responsabilités, aussi bien dans la vie civile, qu’au sein des armées. Vingt d’entre eux ont notamment occupé des responsabilités ministérielles. On peut ainsi citer cinq anciens présidents du conseil ou premiers ministres : René Pleven, Maurice Bourgès-Maunoury, Georges Bidault, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer et des hommes politiques comme Alexandre Parodi, Jean Sainteny, Michel Maurice-Bokanowski, André Boulloche, Maurice Schumann, Pierre-Henri Teitgen, Robert Galley, André Jarrot, Maurice Jourdan, Christian Pineau, Alain Savary ou Jacques Baumel.

Au total, l’ordre de la Libération a compté dans ses rangs 36 ministres, 71 députés, 13 sénateurs et 34 maires. En ce qui concerne l’armée, on compte plus de 80 officiers généraux ou amiraux et trois maréchaux (Philippe Leclerc de Hauteclocque, Jean-Marie de Lattre de Tassigny et Pierre-Marie Koenig). Des compagnons de la Libération ont servi le pays dans la diplomatie, tels Geoffroy de Courcel, Dominique Ponchardier, Gaston Palewski, ou Emmanuel d’Harcourt. Le clergé est aussi représenté par le cardinal Jules Saliège, ancien archevêque de Toulouse, le père Starcky, le pasteur Michel Stahl ou le père Savey. On compte au total 15 ecclésiastiques dans l’ordre de la Libération. L’ordre compte aussi des ingénieurs, comme Louis Armand, membre de l’Institut, de grands juristes comme René Cassin (Prix Nobel de la Paix en 1968) ou encore 36 médecins parmi lesquels de grands professeurs comme José Aboulker ou François Jacob (Prix Nobel de Physiologie en 1965). Egalement de grands industriels et d’importants chefs d’entreprises parmi lesquels on peut citer, Jacques Ballet, Pierre Louis-Dreyfus, Pierre de Bénouville, Jean Rosenthal, Roland de la Poype, François Sommer ou Jacques Maillet. Citons aussi des compagnons connus pour leurs activités littéraires : Roamin Gary, André Malraux, Gilbert Renault, plus connu sous le nom de Rémy, et Winston Churchill (Prix Nobel de Littérature en 1953). Enfin, quatre compagnons de la Libération reposent au Panthéon : Félix Eboué, Jean Moulin, René Cassin et André Malraux. Alors qu’en 1989, y était gravé également le nom du général de Lestraint.

Des collectivités récompensées

L’originalité de l’ordre de la Libération est de pouvoir mettre aussi à l’honneur des collectivités. En effet l’ordonnance n° 7 créant l’ordre de la Libération précise que celui-ci est « destiné à récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’oeuvre de la libération de la France et de son Empire ». Ainsi, le général de Gaulle, au titre des collectivités civiles, attribuera la croix de la Libération à cinq communes françaises : NANTES, GRENOBLE, PARIS, VASSIEUX EN VERCORS et L’ÎLE DE SEIN.

Ainsi la croix de la Libération sera attribuée à 18 unités des Forces françaises libres :

Armée de terre

Bataillon de marche n° 2
13e Demi-brigade de la Légion étrangère
Bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique
Régiment de marche du Tchad
2e Régiment d’infanterie coloniale
1er Régiment d’artillerie coloniale
1/3e Régiment d’artillerie coloniale
1er Régiment de marche de spahis marocains
501e Régiment de chars de combat

Armée de l’air

L’Escadrille française de chasse n° 1
Régiment de chasse Normandie-Niemen
2e Régiment de chasseurs parachutistes de l’armée de l’air
Groupe de bombardement Lorraine
Groupe de chasse Île-de-France
Groupe de chasse Alsace

Marine

Sous-marin Rubis
Corvette Aconit
1er Régiment de fusiliers marins

Les officiers du service de santé compagnons de la libération

Des officiers du Service de santé des armées au service des hommes et de la nation.

Lors de cette deuxième guerre mondiale, bon nombre d’officiers de tous les horizons ont contribué par leur engagement à délivrer le territoire national et son empire de l’occupant. 1038 compagnons de la Libération se sont vus remettre cette haute distinction afin de les féliciter d’un certain courage, pour avoir répondu à l’aide de la France, en mettant en oeuvre des compétences dans leur domaine tout en étant capables de les sublimer au-delà de leur formation initiale.

Certains n’auront pas hésité à prendre des responsabilités de commandement au combat ou se redresser immédiatement après des blessures. Parmi ces hommes et femmes 32 sont des officiers issus des rangs du Service de santé avec des parcours particulièrement remarquables et hors du commun.


Il se devait aussi de les mettre à l’honneur par cette distinction, même si d’autres sont probablement restés dans l’anonymat ou ont travaillé dans l’ombre. Certains sont encore en vie à ce jour et continuent de briller à l’instar de François Jacob, médecin, prix Nobel de médecine en 1965 et actuel chancelier de l’ordre de la Libération. Parmi ces 32 noms figurent :

26 médecins

BÉON Raoul (1911-1943)
BRUNEL André (1912-1981)
CHAULIAC Guy (1912-2005)
CHARMOT Guy (1914)
CHAVENON Guy (1911-1973)
COUPIGNY Jean-Marie (1912-1981)
DIAGNE Adolphe (1907-1995)
FRUCHAUD Henri (1894-1960)
GENET André (1914-1945)
GILLOT Xavier (1909-1996)
GUENON Paul (1911-1946)
GUILLON Paul (1913-1965)
HERVÉ Yves (1909-1944)
JACOB François (1920)
KREMENTCHOUSKY Alexandre (1905-1979)
LICHTWITZ André (1899-1962)
LAQUINTINIE Jean (1909-1941)
MAURIC Charles (1909-1990)
MONFORT Henri (1909-1984)
ORSINI Marcel (1911-1999)
REILINGER Alfred (1900-1968)
SICE Adolphe (1885-1957)
THIBAUX Pol (1914-1963)
VERNIER Jean-Frédéric (1905-1980)
VIALARD GOUDOU Jean (1902-1970)
VIGNES Charles (1905-1951)

1 pharmacien

MENESTREY Jacques (1914-1997)

2 dentistes

PROCHASSON Maurice (1901-1964)
SASSOON Philippe (1913-1983)

1 officier corps administratif

AMIOT René (1914-1985)

1 ambulancier (nationalité américaine)

HASEY John (1916-2005)

1 brancardier (nationalité américaine)

WORDEN James Avery (1912-2004)


Un certain nombre de ces officiers sont morts au combat et mériteraient tous de raconter leurs parcours qui brillent par leur exemplarité. Ils auront tous sans exception suivi et accompagné les troupes des Forces françaises libres (FFL) entre 1940 et 1945. Ils auront participé ainsi à des campagnes multiples et célèbres. Raoul Béon tombera le 11 mai 1945 pendant la campagne de Tunisie à Takrouna. Nommé médecin chef de l’hôpital d’Abomey au Dahomey en avril 1938, il refusera l’armistice et passera au Nigéria puis se rendra au Tchad pour rejoindre les Forces Libres à Fort Lamy. Il sera affecté au bataillon de Marche n° 3 et prendra part à la campagne d’Erythrée avant de combattre durant les campagnes de Syrie, de la Palestine et de Lybie. Il réalisera un travail remarquable dans la prise en charge des blessés de Bir-Hakeim. Il poursuivra encore ses activités en poste de secours au plus près des combattants dans la campagne de Tunisie qui lui sera fatale. Pol Thibaux avait quant à lui débuté un parcours encore plus précoce avec une scolarité au Prytanée Militaire de la Flèche avant de s’engager à l’École de santé de Lyon en 1933. Affecté comme médecin lieutenant au régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad en 1940, il rejoindra les FFL participant ainsi à la prise du Gabon. Il participera aussi à la campagne d’Erythrée en 1941 où il sera cité à l’ordre de la brigade française d’Orient en opérant sous le feu alors chargé de la direction d’un service chirurgical avancé. Une deuxième citation à l’ordre de l’armée le distinguera pendant la campagne de Lybie et une troisième pendant les combats en Tunisie pour sauver de nombreux blessés dans des conditions périlleuses et pénibles. Le parcours d’André Lichtwitz est encore plus caractéristique de ce goût de l’effort. OEuvrant dans un premier temps comme réserviste en 1939 il demandera à servir au front comme médecin chef du 85e RI s’illustrant pendant les attaques allemandes dans l’Aisne. Il prendra alors spontanément le commandement d’une compagnie dont les cadres sont hors de combat, lui faisant tenir pendant 8 heures sur le front avant de recevoir l’ordre de se replier. Démobilisé ensuite au moment de l’armistice il constituera un des tous premiers mouvements de résistance. Il rejoindra ensuite les FFL et le hasard le mènera au chevet du général de Gaulle pour une crise de paludisme. Il combattra en Lybie en prenant le commandement de groupes d’assaut et sera nommé ensuite médecin chef à la 13e demi brigade de Légion étrangère en 1942. Combattant en Tunisie, puis en Italie il sera une première fois blessé en 1944 par des éclats d’obus, poursuivra ses exploits avant d’être 3 fois successivement touché. Il participera au débarquement en Provence et toujours comme médecin lieutenant se fera remarquer pendant la campagne d’Alsace dans des groupes d’assaut. À la fin de la guerre il sera envoyé par le gouvernement provisoire aux États Unis pour une mission d’information médicale. À son retour il fondera le centre du métabolisme phosphocalcique à l’hôpital Lariboisière et restera le médecin personnel du général de Gaulle.

Des officiers du Service de santé compagnons et parrains de promotions

Si l’on s’intéresse aux parcours de formation de ces 32 compagnons, il ne paraît pas surprenant de découvrir que 21 d’entre eux ont été formés dans les écoles de formation des praticiens du Service de santé des armées. Cette majorité des effectifs est le témoin de la rigueur et des valeurs qui sont véhiculées dans ces écoles depuis leurs créations. Même si les anciennes écoles de Brest, Rochefort, Toulon, Strasbourg, Bordeaux et Lyon ont disparues, l’École de santé des armées actuelle à Bron continue de faire valoir leurs patrimoines historiques. L’enseignement, l’instruction militaire et l’accompagnement universitaire délivrés continuent de mettre en avant des valeurs qui font aujourd’hui la force des personnels. Actuellement projetés sur les théâtres plus modernes d’opérations extérieures tels que l’Afghanistan ou le Liban, ces hommes et femmes ainsi formés prouvent au quotidien avec leurs infirmiers leurs compétences de sauvetage et de secours aux combattants parfois dans des conditions difficiles mais malheureusement aussi au péril de leur vie. Animés probablement des mêmes valeurs que ces compagnons il est fort à espérer que l’histoire se souvienne aussi de leurs noms au même titre que leurs anciens. Volontairement la liste qui suit a réparti ces 21 compagnons sous l’appellation des deux anciennes écoles :

École principale du Service de santé de la marine

BÉON Raoul : promotion 1932
CHAULIAC Guy : promotion 1932
CHAVENON Guy : promotion 1932
COUPIGNY Jean-Marie : promotion 1935
DIAGNE Adolphe : promotion 1927
GILLOT Xavier : promotion 1930
GUILLON Paul : promotion 1932
HERVÉ Yves : promotion 1930
MAURIC Charles : promotion 1930
ORSINI Marcel : promotion 1930
SICE Adolphe : promotion 1907
VERNIER Jean-Frédéric : promotion 1924
VIALARD GOUDOU Jean : promotion 1922
VIGNES Charles : promotion 1927

École de Santé militaire

BRUNEL André : promotion 1930
CHARMOT Guy : promotion 1934
GUENON Paul : promotion 1932
LAQUINTINIE Jean : promotion 1929
MONFORT Henri : promotion 1933
REILINGER Alfred : promotion 1919
THIBAUX Pol : promotion 1933


À l’heure où des modifications structurelles affectent le Service de santé des armées qui ne peuvent qu’ébranler les convictions de ses personnels et surtout celles des plus jeunes, il paraît indispensable de rappeler à leurs mémoires qu’il a toujours existé d’une part des moments plus difficiles, et que d’autre part les valeurs humaines ont toujours réussi à surmonter les difficultés. Dans ce cadre les parrains de promotion des médecins, pharmaciens et officiers du corps technique et administratif sont bien un moyen de fédérer les groupes autour de ces valeurs et idéaux. Les promotions ainsi exaltées sont fières de pouvoir s’honorer d’un parrain de promotion compagnon de la Libération. 6 de ces officiers du Service de santé des armées compagnons de la Libération ont ainsi offert leur nom à des promotions d’élèves de l’École de santé des armées. Ils sont classés par ordre chronologique avec les appellations des écoles de l’époque :

  • HERVÉ Yves : Parrain de la promotion 1947 (École principale du Service de santé de la marine)

  • BÉON Raoul : Parrain de la promotion 1949 (École principale du Service de santé de la marine)

  • SICE Adolphe : Parrain de la promotion 1959 (École principale du Service de santé de la marine)

  • LAQUINTINIE Jean : Parrain de la promotion 1989 (École du Service de santé des armées de Lyon)

  • VIALARD GOUDOU Jean : Parrain de la promotion 2005 (École du Service de santé des armées de Bordeaux)

  • GUENON Paul : Parrain de la promotion 2008 (École du Service de santé des armées de Lyon)

Enfin en 2009, l’École du Service de santé des armées de Bordeaux a baptisé son avant-dernière promotion (2007) sous le patronyme « Médecins compagnons de la Libération ».

Dans un monde bousculé, où la crise chahute toutes les institutions, où les valeurs de référence semblent explosées, il apparaît comme primordial de se rappeler l’histoire qui ne cesse de se répéter. Dans cette histoire des valeurs sont perceptibles et identifiables, ce sont celles d’un certain idéal et du goût de l’effort qui semblent animer le comportement de certains personnages devenus malgré eux historiquement connus ou considérés comme héroïques. Le Service de santé n’y a logiquement pas échappé. Ses officiers n’exercent sûrement pas par hasard dans ses rangs et répondent à des exigences de compétences parfois difficiles à mettre en oeuvre. Animés d’une telle foi, et doté d’un goût de l’effort, ils se révéleront probablement comme leurs anciens dans des valeurs et des domaines nouveaux. Les compagnons de la Libération avec leurs parcours hors du commun sont là pour nous le rappeler. Il paraît donc d’une part indispensable de poursuivre cette démarche de mémoire au travers des parrains de promotions pour sublimer cet idéal et façonner les vocations des plus jeunes. Mais d’autre part les parcours de ces compagnons nous rappellent aussi la nécessité absolue d’associer à la formation médicale universitaire, une formation médicale adaptée aux armées ainsi qu’une instruction militaire de qualité afin de construire les compétences polyvalentes qu’exige l’exercice rigoureux des métiers du Service de santé. Mais au-delà, de ces parcours d’officiers il ne faudra jamais oublier que ce qui fait la force de ce service au service des hommes et des armées, c’est le travail en équipe qui constitue la clé de voûte de sa réussite. Et dans ce domaine la réussite de tels parcours ne pourra se réaliser sans l’efficacité remarquable des sous officiers du Service de santé sans qui la mission ne pourrait être menée à bien. Et dans ce cadre le binôme sanitaire du médecin et de l’infirmier restera indissociable pour continuer à soutenir les forces armées.

Médecin en chef Gilles Wendling,
Chef du département de la formation initiale spécialisée
École du Val-de-Grâce
Médecin en chef Pierre Éric Schwartzbrod
CMA Besançon
Chirurgien-dentiste Thibaut Bila
CMA Besançon